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Notre-Dame de Paris

Par Kinopitheque12

Albert Capellani, 1911 (France)

Notre-Dame Paris

" Voilà l'archidiacre qui souffle, l'enfer pétille là-haut. "

Dans cette adaptation du roman de Victor Hugo (qui n'est pas la toute première), l'archidiacre Claude Frollo (Claude Garry) est occupé dans son atelier installé dans une des tours de la cathédrale. Il est absorbé par ses travaux alchimiques (a priori plus théoriques que pratiques à en juger par les notes qu'il prend et ses allées et venues autour du bureau), quand soudain un son le sort de sa concentration : le tambourin qui accompagne la danse d'Esméralda la Bohémienne (Stacia Napierkowska) tout en bas sur le parvis.

Notre-Dame Paris

Un carton. Un plan sur l'atelier. Frollo est présenté. Quasimodo (interprété par Henry Krauss) entre par une trappe et l'échange entre les deux personnages nous fait comprendre l'état d'infériorité du bossu dans leur relation.

Notre-Dame Paris

Frollo n'a déjà plus l'âge du personnage de Hugo (soixante ans peut-être dans le film de Capellani au lieu d'une trentaine). Il est une sombre silhouette comme le sera celle des versions ultérieures ( Le Bossu de Notre-Dame de Wallace Worsley, 1923, Quasimodo, la belle version de William Dieterle, 1939 et le Notre-Dame de Jean Delannoy, 1956). Comme l'a imaginé le romancier, dans le film, le clerc obscur s'adonne à l'alchimie, ce qui ne sera plus le cas avant l'adaptation en couleurs de Delannoy.

Pour apporter cette précision, l'alchimie n'est pas regardée comme le savoir qui s'est construit durant des siècles autour de buts définis, d'expérimentations et de débats entre personnes savantes. Elle est considérée comme une fausse science, par ses détracteurs, par les esprits positivistes du XIXe siècle notamment, et dans le roman.

" ... alors il avait creusé plus avant, plus bas, dessous, toute cette science finie, matérielle, limitée ; il avait risqué peut-être son âme, et s'était assis dans la caverne à cette table mystérieuse des alchimistes, des astrologues, des hermétiques, dont Averroès, Guillaume de Paris et Nicolas Flamel tiennent le bout dans le Moyen Âge, et qui se prolonge dans l'Orient, aux clartés du chandelier à sept branches, jusqu'à Salomon, Pythagore et Zoroastre. C'était du moins ce que l'on supposait, à tort ou à raison. " V. Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre IV (1831).

L'alchimie accompagne donc Frollo dans son obscurantisme. Chez l'écrivain, cette accointance place l'archidiacre du côté du mal ou du moins y participe (et l'idée est reprise par Albert Capellani). Dans le film de 35 minutes, il n'y aura pas d'autre allusion à cette pratique, ni au " laboratoire " (on ne distingue pas bien sur le film tel qu'il est visible sur internet si le bureau de Frollo est pourvu d'instruments ; peut-être s'agit-il de vases sur la table à droite, possiblement un four sous la fenêtre à l'arrière-plan).

La représentation de Frollo alchimiste n'est pas fréquente au cinéma (voir le motif #106). Son intolérance, sa misanthropie, sa lâcheté, ses crimes suffisent amplement à faire de lui un antagoniste remarquable. Les scénaristes ont donc souvent abandonné le passe-temps pseudo-scientifique dans lequel l'a plongé Hugo (ce qui permet au passage de faire aussi l'économie d'un décor).

Dans la version de Notre-Dame de 1911, Esméralda tire Frollo de ses travaux alchimiques... Dès qu'il la voit, Frollo est pris d'un désir pour elle. Il a prononcé des vœux de chasteté, mais le vieux clerc est avec la jeune fille pris d'une attirance sexuelle qui le ronge. Les sentiments sont très clairs mais la matière est assez riche pour jouer avec les symboles, alors on est tenté d'aller un peu plus loin.

Un des plus fameux textes alchimiques (même s'il n'était pas alchimique quand il a été écrit) est le " poème " de la Table d'émeraude. Le texte que l'on sait d'origine arabe aurait été écrit par le légendaire Hermès Trismégiste. Frollo est attiré par " la Esmeralda ", comme elle est appelée, c'est-à-dire " l'émeraude ". L'adepte de l'art d'Hermès serait dans ce cas irrésistiblement porté vers cette beauté précieuse et exotique. La Bohémienne (ou l'Égyptienne selon les surnoms qui lui sont donnés) n'a pourtant rien à voir avec ce triste sire. Elle n'est que gentillesse et liberté et mourra innocente (une des rares versions fidèles au drame du roman). Le démon difforme mais amoureux que Frollo garde à son service (en fait sa propre part d'humanité) jettera de rage l'archidiacre des sommets de Notre-Dame. Dans son film court, Capellani suit Hugo pour que la vengeance serve à la destruction du criminel, incarnation de l'âge sombre (auquel ici appartient l'alchimie) et obstacle à la Renaissance.


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