En Algérie, les émigrants clandestins seront passibles de prison
LE MONDE | 03.09.08 | 15h35 • Mis à jour le 03.09.08 | 18h35
On connaissait l'immigration clandestine, c'est-à-dire l'entrée irrégulière dans un pays étranger. Voici l'émigration illégale, autrement dit l'interdiction de quitter son propre pays sous peine de sanction pénale.
Après d'autres pays, l'Algérie s'apprête à adopter une loi punissant de six mois d'emprisonnement ferme toute sortie illégale de son territoire. Un projet de texte réformant le code pénal en ce sens a été approuvé, dimanche 31 août, par le gouvernement et doit l'être par le Parlement cet automne. Il prévoit aussi d'infliger dix années d'incarcération aux personnes aidant les émigrants.
Pareille mesure vise un phénomène qui a pris une ampleur considérable en Algérie, celui des "harragas" (littéralement, en arabe, "ceux qui brûlent" les frontières), ces jeunes qui risquent leur vie sur des embarcations de fortune pour gagner l'Europe. Au cours de la seule semaine passée, une centaine de ces jeunes, Algériens ou Africains noirs, ont été interpellés sur les côtes algériennes. Depuis deux ans, les plages proches d'Annaba (600 km à l'est d'Alger) sont devenues les principales zones d'embarquement vers la Sardaigne. Les autorités font état de 1 500 arrestations en 2007 et de 700 depuis le début de 2008. Mais on ne connaît ni le nombre de ceux qui parviennent à destination, ni, évidemment, celui de ceux qui périssent.
Les mosquées ont été incitées à faire campagne contre les "harragas", au nom du refus du suicide. Mais jusqu'à présent, la loi ne permettait pas de réprimer ces départs. Le nouveau texte va l'autoriser, au prix d'une entorse à un principe fondamental des droits de l'homme. La déclaration universelle de 1948 dispose en effet que "toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays". La liberté de quitter son pays a longtemps été ardemment défendue par les pays occidentaux lorsqu'elle était bafouée par l'URSS et ses satellites. Aujourd'hui, seuls des pays comme la Corée du Nord ou Cuba en font un principe, emprisonnant de fait leurs propres citoyens sur leur territoire. Mais le temps où les pays de l'Ouest se faisaient un honneur d'accueillir les fugitifs ayant réussi à franchir le rideau de fer est bien terminé. Le principe ne vaut pas pour les ressortissants du Sud.
Les pressions exercées par l'Union européenne sur les pays africains pour contrôler les flux migratoires ont remis au goût du jour la pénalisation des départs. Le Maroc, particulièrement coopératif avec l'UE, a adopté en 2003 une loi réprimant sévèrement l'émigration irrégulière. La Tunisie s'est aussi lancée dans la chasse aux "brûleurs", l'équivalent des "harragas". Le Sénégal se targue d'interpeller les candidats à l'émigration qui tentent de rejoindre les Canaries.
Cette politique est considérée par les pays de départ comme une monnaie d'échange pour obtenir des aides ou faire pression sur des négociations commerciales. Ainsi, l'accord sur le règlement du contentieux colonial italo-libyen récemment paraphé par MM. Kadhafi et Berlusconi prévoit-il notamment, en échange de la construction d'une autoroute, une participation libyenne aux patrouilles de surveillance en Méditerranée.
Philippe Bernard
Article paru dans l'édition du 04.09.08.