
Quatrième de couverture :
Il n’est jamais entré dans un musée, il ne lisait que Paris-Normandie et se servait toujours de son Opinel pour manger. Ouvrier devenu petit commerçant, il espérait que sa fille, grâce aux études, serait mieux que lui.
Cette fille, Annie Ernaux, refuse l’oubli des origines. Elle retrace la vie et la mort de celui qui avait conquis sa petite « place au soleil ». Et dévoile aussi la distance, douloureuse, survenue entre elle, étudiante, et ce père aimé qui lui disait : « Les livres, la musique, c’est bon pour toi. Moi, je n’en ai pas besoin pour vivre. »
Ce récit dépouillé possède une dimension universelle.
D’Annie Ernaux, j’ai (seulement) lu L’autre fille et Les années, roman dont la sécheresse du style m’avait tenue éloignée de l’autrice. « Pour voir », j’ai emprunté ce livre dans la bibliothèque de ma section à l’école.
Annie Ernaux part de la mort de son père pour retracer l’histoire de cet homme simple, d’origine modeste, d’abord ouvrier, puis petit commerçant et cafetier à la fois, pour grimper un tant soit peu dans l’échelle sociale et assurer la sécurité financière de sa famille. Annie, douée pour les études, est envoyée au pensionnat, elle fait ensuite des études supérieures qui l’éloignent mentalement de sa famille. Cela crée une ambivalence dans les relations de la jeune fille qui écrit, sans pathos, sans jugement, l’écart (le grand écart) entre son milieu d’origine et la bourgeoisie dans laquelle elle se faufile grâce à ses amies étudiantes. La même ambivalence se devine dans les réflexions des parents, du père : il faut monter un peu dans la société mais on a du mal à se contenter de ce que l’on a, on est un peu jaloux de ceux qui sont plus hauts que soi.
Ici, l’écriture sèche ne m’a pas gênée, elle est censée mettre l’émotion à distance mais celle-ci affleure sous la plume d’Annie Ernaux. Oui, comme le dit la quatrième de couverture, son expérience personnelle peut faire écho dans la mémoire de ses lecteurs, de ses lectrices. Et je lirai sans doute d’autres titres d’elle.
« Il me conduisait de la maison à l’école sur son vélo. Passeur entre deux rives, sous la pluie et le soleil. Peut-être sa plus grande fierté, ou même la justification de son existence : que j’appartienne au monde qui l’avait dédaigné. »
« Il s’énervait de me voir à longueur de journée dans les livres, mettant sur leur compte mon visage fermé et ma mauvaise humeur. La lumière sous la porte de ma chambre le soir lui faisait dire que je m’usais la santé. Les études, une souffrance obligée pour obtenir une bonne situation et » ne pas prendre un ouvrier « . Mais que j’aime me casser la tête lui paraissait suspect. Une absence de vie à la fleur de l’âge. Il avait parfois l’air de penser que j’étais malheureuse.
Devant la famille, les clients, de la gêne, presque de la honte que je ne gagne pas encore ma vie à dix-sept ans, autour de nous toutes les filles de cet âge allaient au bureau, à l’usine ou servaient derrière le comptoir de leurs parents. Il craignait qu’on ne me prenne pour une paresseuse et lui un crâneur. Comme une excuse : « On ne l’a jamais poussée, elle avait ça dans elle. » Il disait que j’apprenais bien, jamais que je travaillais bien. Travailler, c’était seulement de ses mains. »
Annie ERNAUX, La place, Folio, 2022 (Gallimard, 1983)
Un roman de 114 pages pour une nouvelle participation au challenge Bonnes nouvelles 2025 chez Je lis, je blogue.