Dosette de lecture n°139 : Phillipe Collin : « Le Barman du Ritz », À la table tournante d’un Ritz de cristal

Publié le 09 janvier 2025 par Sheumas

De quelle façon peut-on, sous l'Occupation, " épater les Boches " quand on est " deux Juifs pris au piège " dans le Ritz ? C'est la question que se pose l'auteur en observant avec beaucoup d'attention le savoir-faire du barman, Franz Meier et de son souple et furtif apprenti, Luciano ; la réponse semble être dans cette formule de légionnaire qui agit sur eux comme un mantra : " Trouve le chemin entre deux lignes, bouge, rampe, crapahute ! " Et pour cela, il n'y a qu'une règle : " ôter les gants blancs et se salir les mains. "
Dans l'air contaminé par la montée irrésistible de la peste brune, grisés par les vapeurs du gin, du whisky, des vins et des champagnes grands crus, étourdis par les cocktails concoctés spécialement pour chaque client, les officiers allemands attirés comme des mouches, les délateurs de tout poil, les corbeaux, bref tout " un essaim de frelons " viennent se brûler les ailes au comptoir du Ritz. Comme l'affirme un autre bourdon prestigieux, le tortueux écrivain Junger qui, à cette période, se pique d'entomologie, " On apprend beaucoup des hommes en observant les insectes ". Fort de son talent et de sa réputation, le vibrant barman laisse flotter son filet au-dessus de la ruche et regrette, en son for intérieur sa période légère et euphorique à New York, quand il était ami avec de fameux noceurs. Une photo de Scott Fitzgerald trône d'ailleurs au-dessus de son bar. Tendre est la nuit !
Entre 1940 et 1944, de plus en plus figé à son comptoir, englué, emmiellé, tel " un châtelain " au sein d'un " palais de conte de fée ", il fait tourner ces " Petits verres du secret " qui le mettent au centre d'une bourdonnante arène où les joueurs multiplient les atouts et posent sur la table vérités et mensonges, vice et convoitise, fantaisies et bravades au risque de tout faire voler en éclats.