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Le goût du lait revient en parlant, le lait caillé dans les bols quand la lune rousse éclairait la faïence et l'eau qui dort. À l'intérieur d'une maison sans feu le sommeil est troublé par les soupirs de la sainte et les cris de la fée, par la chute au pied du lit des vêtements de la femme adultère. Sa voix dans les livres se confond avec une ancienne désinence, une langue jamais apprise qui revient à l'oreille de l'enfant. Rougeurs et silences qui précèdent un flot de paroles et leur contraire, un mascaret d'émotions qui remonte en même temps que la mémoire et la marée.
Si l'enfant prodigue et saturnien éclate en sanglots (le vendredi maigre où il revient), c'est encore à cause de l'amour qu'on lui montre du doigt. L'anneau de sa mère enferme à jamais les larmes de son corps, l'anguille et la rivière plus vif-argent que ses souvenirs.
Accompagné du vautour qu'on croyait femelle et fécondé par le vent, quand il repart c'est pour trouver le partage des eaux ; entre la sanglante et l'amoureuse, la rose et les ténèbres, la rime et le bruit... Héros roturier il apprend à écrire en prose, mais lit les vers en se taisant pour mieux entendre en lui l'instrument des tristes et l'accent de la superstition quand ils parlent de l'avenir (leur histoire est sans écriture et sans roi, leur voix est en souffrance dans les voyelles trop fermées de l'alphabet).
Gérard Macé, Bois dormant, Gallimard, 1981, p. 51-52.
Le vitrier qui passe encore dans ma rue me rappelle la voix de diamant de Mallarmé, son quatrain des " Chansons bas " devenu ambulant et sonore. La voix n'est plus la même, capable au siècle dernier de lancer son cri en donnant l'accord en fa mineur, ou de remonter la gamme par des quarts de ton avant de couper l'air comme on coupe un carreau, mais cet appel entre la parole et le chant me ramène en pensée vers le chemin couvert de neige où la mémoire m'a frôlé de son aile, puis devant le cadavre des bêtes en été, et dans une cour d'école où je jouais avec des osselets.
À travers les ailes transparentes et fragiles du vitrier (des ailes qui ne l'empêchent pas de marcher), je vois aujourd'hui une silhouette ambiguë : dans l'ombre, celle d'un homme qui porte sur son dos le cercueil de son père, et qui fait le tour de la ville pour lui trouver une sépulture ; dans la lumière celle d'un homme qui porte une armoire, comme le colporteur qui de village en village, en même temps que la bonne parole et les dernières nouvelles, portait autrefois des lacets, des miroirs, des almanachs, - tout un bric-à-brac où voisinaient la mercerie et les brochures illustrées.
Gérard Macé, Vies antérieures, Gallimard, 1991, p. 68-69.
Au moment de mourir je laisserai la main dans le livre des vieux mots la main refermée sur les moineaux mobiles accouplés depuis toujours dans la volière de mon crâne au ciel souterrain les moineaux retournés à la chair qui roucouleront le sens dont le baiser me lèche mais les moineaux je les entends comme alouette ou miroir aux mouettes alors revient le peur de mille mensonges en si peu de mots seraient-ils les seuls moteurs de l'horloge. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Gérard Macé, Le jardin des langues, préface d'André Pieyre de Mandiargues, Gallimard, 1974, p. 43.
Contribution de Tristan Hordé
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