Fiche technique : Avec Roddy McDowall, Chris Sarandon, William Ragsdale, Amanda Bearse, Stephen Geoffreys, Jonathan Stark, Dorothy Fielding, Art Evans, Stewart Stern, Nick Savage, Ernie Holmes, Heidi Sorenson, Irina Irvine, Bob Corff et Pamela Brown. Réalisation : Tom Holland. Scénario : Tom Holland. Directeur de la photographie : Jan Kiesser. Musique : Brad Fiedel. Durée : 106 mn. Disponible en VO, VOST et VF.
Résumé : Fanatique de films d'horreur, le jeune Charlie Brewster (William Ragsdale) soupçonne ses nouveaux voisins – le séduisant antiquaire Jerry Dandridge (Chris Sarandon) et son assistant Billy Cole (Jonathan Stark) – d'être des vampires. Après avoir assidûment surveillé leurs agissements, il parvient à les démasquer et décide de les anéantir. Pour l'épauler dans cette mission, il fait appel à un présentateur de films d'épouvante de la télé locale : Peter Vincent (Roddy McDowall), qui s'avère aussi froussard que peu compétent en matière de surnaturel. Informé des intentions de Charlie, Jerry Dandridge riposte en séduisant la fiancée du jeune garçon, et en transformant l'un de ses amis, "Evil" Ed (Stephen Geoffreys), en « créature de l'ombre ». Charlie et Peter Vincent investissent la demeure de Dandridge et se préparent à l'affrontement.
L’avis de BBJANE : L'un des films d'épouvante les plus ouvertement gay des années 80, Vampire, vous avez dit vampire ? continue d'être ignoré comme tel par l'ensemble de la critique et des fantasticophiles. L'analyse queer très complète et étayée offerte par Harry M. Benshoff dans son indispensable ouvrage Monsters in the closet – Homosexuality and the horror film, n'a pas changé grand-chose à cet état de fait. L'aveuglement des aficionados du cinéma fantastique, relativement au contenu homosexuel de certains de leurs films-cultes, n'a jamais cessé de m'étonner, et le cas de Vampire, vous avez dit vampire ? en constitue un exemple assez hallucinant. Je me propose, dans cet article, de recenser divers éléments scénaristiques et esthétiques qui font du film de Tom Holland l'une des œuvres gay les plus caractérisées du "genre". Suite à cela, j'aimerais soulever une question qui, en tant que fantasticophile homosexuel, me turlupine depuis nombre d'années : pourquoi les fans d'horreur, dans leur grande majorité, manifestent-ils un tel rejet de tout discours queer appliqué à leurs œuvres fétiches ? Pourquoi cet entêtement à ignorer – ou nier avec véhémence – ce qui, dans le cas de Vampire, vous avez dit vampire ? ou de classiques encore plus respectés du genre (La Fiancée de Frankenstein, Les Maîtresses de Dracula, Théâtre de sang...) relève de l'évidence ? D'ores et déjà, je convie chaudement mes lecteurs, si l'envie leur en prend, à m'apporter leur point de vue sur cette question troublante... Plutôt qu'une critique proprement dite (on ne les compte plus sur le Net, et je ne vois pas l'intérêt d'ajouter mon caillou à l'édifice), je soumets à votre appréciation la liste des éléments queers du film. J'ai presque honte de les répertorier, tant ils tombent sous le sens – mais il est parfois nécessaire d'enfoncer le clou (à défaut du pieu...) • Jerry Dandridge et son assisant Billy Cole sont présentés comme un couple gay (les fans du film ignorent généralement ce fait, lorsqu'ils ne le nient pas purement et simplement.) La mère de Charlie Brewster, affriolée par le voisinage du playboy Dandridge, en conçoit d'ailleurs une certaine amertume, dont elle fait part à son fils. Ceci N'EST PAS un couple gay.
• Charlie Brewster éprouve une fascination immédiate et obsessionnelle pour Dandridge. Dès le début du film, son intérêt pour ce nouveau voisin le détourne des étreintes de sa fiancée, Amy Peterson, qui le lui reproche vertement et l'accuse de chercher un fallacieux prétexte pour ne pas coucher avec elle. • La première attaque de Dandridge contre Charlie fait écho aux innombrables scènes de séduction vampirique que l'on trouve dans les grands classiques du genre : intrusion du monstre dans la chambre de sa victime, frayeur de cette dernière, mélange de rébellion et de fascination. À ceci près que, dans les œuvres classiques (disons, celles de la Hammer, auxquelles Vampire, vous avez dit vampire ? se réfère le plus explicitement), le vampire s'introduit chez des proies féminines. Le potentiel érotique et la charge de sensualité sont préservés par Tom Holland, mais prennent ici une coloration nettement homophile. Bien que les adversaires soient tous deux masculins, le jeu de la séduction est respecté.
Charlie et Jerry : « Tu veux un baiser ? »
• Autre objet de fascination pour Charlie Brewster (décidément porté sur les figures masculines) : Peter Vincent, comédien raté mais idole du jeune garçon, qui lui prête une autorité et des compétences (en matière de vampirisme) dont il est totalement dépourvu. Substitut du père absent (celui de Charlie n'apparaît pas dans le film, et n'est guère évoqué), Peter Vincent est aussi objet d'adulation (Charlie passe ses soirées à l'admirer à la télévision), et l'“éducateur” rêvé par Charlie – le protecteur chargé de le guider dans le monde terrifiant des différences (monstrueuses/sexuelles) qu'il veut affronter.
PERSONNE ne brandit quelque chose dans ce film.
• "Evil" Ed, le souffre-douleur du lycée, mais ami de Charlie, est le prototype de l'adolescent homosexuel tel qu'Hollywood, réactionnaire et puritain, s'applique généralement à en atténuer la représentation. Jeune garçon "bizarre", instable, excentrique, potentiellement révolté et de mauvaise compagnie, "Evil" Ed apparaît comme le descendant d'une longue lignée de « rebelles sans cause », sexuellement ambigus, dont le modèle peut-être vu dans le Sal Mineo de La Fureur de vivre. S'il n'est jamais nommément fait allusion à son homosexualité, sa différence est en revanche copieusement illustrée.
Ceci N'EST PAS une proposition malhonnête.
• La scène de la mort d'"Evil" Ed (transpercé, sous la forme d'un loup, par le pieu de Peter Vincent, le jeune garçon recouvre son apparence humaine dans d'horribles douleurs et d'interminables contorsions) a traumatisé toute une génération de fantasticophiles, comme en attestent d'innombrables témoignages de fans, qui y voient généralement le sommet émotionnel du film. Elle est aussi placée sous le signe d'une compassion rare dans le cinéma d'épouvante, manifestée pour le monstre par son exterminateur. Peter Vincent, atterré par les souffrances de l'adolescent, observe son agonie avec les larmes aux yeux, et demeure prostré devant son corps nu. Pour les spectateurs gays, cette séquence prend une dimension symbolique, et apparaît comme emblématique des souffrances morales et/ou physiques auxquelles les expose leur différence. "Evil" Ed et Peter Vincent. Le monstre mourant et son exécuteur. L'homme est un loup pour l'homo.
• La vampirisation de "Evil" Ed par Jerry Dandridge dans une impasse obscure, a toutes les apparences d'une scène de séduction homosexuelle. « Tu n'as pas à avoir peur de moi, déclare Dandridge à sa victime. Je sais ce qu'être différent signifie. Désormais, plus personne ne se moquera de toi ou ne te fera de mal. J'y veillerai. Tu n'as juste qu'à me tendre la main. Allons, Edward, tends-moi la main. » Et Dandridge d'envelopper lentement le jeune garçon dans les pans de son trench-coat... • Comme le souligne de façon amusante Harry M. Benshoff dans son ouvrage Monster in the closet, la plupart des scènes d'agressions vampiriques nous montrent le vampire attaquant sa victime par derrière, (je cite : « comme s'il allait la sodomiser plutôt que la mordre. »)
PERSONNE ne tire dans cette scène.
• De nombreux plans jouent sur une symbolique d'actes homoérotiques. Le plus fameux d'entre eux (évoqué par le comédien Jonathan Stark lors d'une table ronde réunissant plusieurs artisans du film) nous montre Billy Cole agenouillé devant Jerry Dandridge afin de soigner sa main blessée, le cadrage suggérant une fellation. Stark, qui assure n'avoir d'abord pas compris l'insistance du réalisateur à le faire s'agenouiller devant son partenaire, eut les yeux dessillés en découvrant le film sur l'écran. Ceci N'EST PAS une pipe. • Pour conclure, impossible de ne pas noter la présence essentielle dans le casting d'au moins trois personnalités ouvertement homosexuelles (et pour deux d'entre elles, plutôt militantes) : les comédiens Roddy McDowall, Stephen Geoffreys (qui mena une carrière parallèle d'acteur dans le porno gay), et Amanda Bearse (qui déclara, lors d'une Gay Pride à l'Université de Californie du Sud, que l'intention de Tom Holland, en réalisant Vampire, vous avez dit vampire ?, était de dépeindre un vampire queer, et que chaque allusion homosexuelle était intentionnelle – voir Monsters in the closet, page 250.) Du reste, un simple survol de la filmographie de Holland, en tant que scénariste ou réalisateur, dénote un intérêt prononcé pour les thématiques queers, avec des œuvres aussi fortement connotées que Psychose II, Class 1984, Child's play ou le très "horrific-homo" The Beast within. Notons également que le comédien Chris Sarandon débuta sa carrière cinématographique en incarnant l'aspirant-transexuel amant d'Al Pacino dans Un Après-midi de chien de Sidney LUMET – ce qui lui valut une étiquette gay-friendly dont il ne put jamais se débarrasser (si tant est qu'il le souhaita...) Du Cauchemar de Dracula (Terence Fisher - 1958)... ...au supplice d'"Evil" Ed (1985)... 27 années d'identiques souffrances pour le monstre queer, lesbien ou gay. Lorsque Vampire, vous avez dit vampire ? sortit en salles, la presse évita soigneusement toute allusion aux connotations homosexuelles du scénario et de la mise en scène – difficile de croire qu'elle ne les perçut pas, à moins d'une faiblesse analytique fort dommageable à la profession de critique. Ce silence est encore plus "criant" relativement aux commentaires émanant de la presse dite "spécialisée" (dans le cinéma de genre), qui se targue pourtant assez facilement d'une liberté de vue et de ton bannie des revues mainstream. En France, les deux magazines les plus populaires en ce domaine, L'Écran fantastique et Mad Movies, louèrent les qualités du film (sur l'air du : « Bien joué, bien filmé, de chouettes effets spéciaux, et on a peur et on rigole... ») sans esquisser la moindre réflexion sur son contenu – mais il est vrai que la réflexion n'était guère, à l'époque (et à peine davantage aujourd'hui), un point fort de la presse dite "spécialisée"... D'autres films contemporains de Vampire, vous avez dit vampire ?, et faisant appel, eux aussi, à une thématique clairement gay (La Revanche de Freddy, Génération perdue) subirent le même (manque de) traitement. En mars 2008, plusieurs membres de l'équipe du film furent réunis pour une interview commune, dans le cadre de la Fear fest ayant lieu à Dallas. Le caractère queer du film n'y fut évoqué qu'une seule fois, brièvement, et pour faire l'objet d'une dénégation de la part du comédien William Ragsdale – lequel estime, en substance, que certains critiques racontent trop facilement n'importe quoi, et que Vampire, vous avez dit vampire ? n'est rien d'autre qu'un « film de vampires tout simple ». Propos mitigés par Jonathan Stark, qui rappelle avec humour l'anecdote de "l'agenouillement", évoquée plus haut. Tom Holland, pour sa part, demeura silencieux.
No comment...