Magazine

Page Cinquante-Neuf (2)

Publié le 04 janvier 2025 par Nicolas Esse @nicolasesse

Coincé debout dans la foule compacte des pendulaires, Paul attend patiemment le moment de s’éjecter du métro. Encore deux stations. Chaque soir la même attente. Chaque soir la même délivrance. S’extirper de la nasse des odeurs corporelles, des longs couloirs et des escaliers aux marches fatiguées. Revenir à l’air libre. Enfin, libre, quelle blague ! Un reliquat d’oxygène emprisonné dans mille mégatonnes de monoxyde de carbone. 
Rouge. Vert. Les conducteurs énervés sont bien forcés de laisser passer les piétons. À regret. Encadré par une haie de phares hostiles, il presse le pas. Dix mètres à franchir avant que le feu ne passe à l’orange. Ensuite, il ne restera qu’une poignée de secondes pour se mettre en sécurité.
Chaque soir Paul se demande ce qui pourrait arriver si un passant distrait prolongeait son séjour sur le bitume au-delà du temps réglementaire. Tapis derrière leur volant, les automobilistes semblent décidés à éliminer tout obstacle situé entre ce carrefour et leurs pantoufles, quand bien même il s’agirait d’un être vivant et marchant. Une fois passé sous leurs roues, il s’imagine aplati, éclaté, transformé en galette de dessin animé.

Pourquoi sommes-nous tous aussi pressés ?

La réponse se trouve peut-être au fond d’un four à micro-ondes.
Affamé, Paul avale sa lasagne brûlante, méthodiquement, sans y goûter. Il l’arrose d’un mauvais vin rouge dans un grand verre à eau. 
Se fait un thé. 
Attrape une boîte de gâteaux.
Se pose enfin sur le sofa.
Ouvre le livre à la page cornée.
Chapitre deux.
Page cinquante-neuf.

_ J’adore l’odeur du napalm au petit matin.


Retour à La Une de Logo Paperblog