Droite et immobile, Doria jetait un regard réprobateur sur les derniers feux du soleil couchant. Ce rouge, ce rouge surtout, criard, vulgaire, tartiné sur le fond du ciel outremer donnait à la scène un air de cabaret bon marché. Il fallait tout reprendre, tout repeindre dans une seule palette de tons dorés avec elle, de dos, appuyée au bastingage, son visage légèrement tourné, profil flou et sans âge, les cheveux ondulant sur l’étole de soie brute.
Elle, suspendue au-dessus de la mer, noyée dans le crépuscule criard de cette fin d’après-midi d’été.
Elle immobile et floue, droite, droite surtout, de la taille aux épaules, la nuque en flèche. De dos, à contre-jour, elle se donnerait au plus trente ans. Où sont passées toutes les autres années ? Sa bouche se plisse malgré elle et du fond de sa gorge monte un spasme tout à fait déplacé. Aucun chagrin ne peut exister sur le pont d’un yacht poli par le frôlement feutré des robes de soirée. Ce doit être le crépuscule, ou alors Debussy, ses longs accords-paysages pour trois violons et une contrebasse.
Non, rien de tout ça. Ce quatuor est le dernier d’une longue lignée de quatuors et la croisière musicale a lieu chaque année depuis… Depuis elle ne sait plus quand.
Mais les jeans. Impardonnables. Bientôt ces musiciennes joueront en costume de bain. Quatre jeunes filles en jeans. Jeunes. Filles. Jeunes.
Belles.
Fraiches.
Jeunes.
Passagères de ce moment fugace, où l’assemblage d’un t-shirt noir et d’un denim délavé suffit à produire de la beauté. Où les pieds se passent d’escarpins. Où il suffit de cinq minutes devant son miroir le matin.
Avant la nécessité du contre-jour pour donner l’illusion d’avoir une seule fois trente ans. Avant la première ride. La première tache. Le premier je ne peux pas.