Comment écrire après le traumatisme d'un massacre ? Et comment apprivoiser un corps meurtri, déréglé, étranger, incapable désormais de se projeter dans l'avenir, pas plus d'ailleurs que dans le passé. Le journaliste chroniqueur à Charlie Hebdo revient sur ce moment effroyable de l'attaque à sa rédaction, rue Nicolas Appert, attaque à laquelle il a miraculeusement survécu à ses collègues dont il revoit toujours le visage ensanglanté, " de l'autre côté de la rive ".
De son côté, il est devenu ce " lambeau " de la chambre 106 que le personnel de l'hôpital et du service de stomatologie répare comme il peut, conscient de ce qu'il est devenu aux yeux des autres comme l'indiquent ces vers de Racine : " un horrible mélange / D'os et de chairs meurtris, et traînés dans la fange / Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux, / Que des chiens dévorants se disputaient entre eux. "
Commence alors le long et délicat processus de reconstruction ; tenter de le soigner, de lui refaire la mâchoire avec un morceau de péroné, c'est s'efforcer de " mettre du mécanique sur du vivant ", et d'y insinuer le rire ou au moins le grincement de l'ironie. Le souvenir de ses collègues hante le narrateur ; Volinski, Bernard Maris, Tignous, Cabu sont toujours là et, avec ou sans Bergson, il ne peut se résoudre à cette idée que " soudain, ils ne riaient plus ".
La chambre qu'il occupe l'écarte du monde réel, le ramène obstinément à son corps, à ses souffrances, à ces nécessaires et rituelles interventions chirurgicales que rythme le ballet familier des visiteurs et des infirmières.
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