Dans les cas que nous avons vu jusqu’ici, les objets suggéraient l’organe masculin soit par leur forme intrinsèque, soit par leur contexte. On examine ici des compositions plus ambitieuses, où l’objet est mis en scène pour évoquer une situation érotique précise.
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Excitation
Combinaison d’un manche avec une main.
Parmiggiano, vers 1530, British museum
Parmiggiano avait dessiné en situation le dieu éponyme de la chose, avant qu’une main prude ne barbouille la zone litigieuse.
Ribera, 1625–50, MET
Sous l’effet de l’excitation, l’outil professionnel du satyre s’amplifie à la proportion du tronc qu’il malaxe de ses bras.
Le biscuit du soupirant ou La brodeuse et le prétendant timide
Jan Steen, vers 1665, Museum De Lakenhal, Leyde
Le soupirant offre un gâteau de forme évocatrice, le « heiligmaker » (littéralement « faiseur de saint »), qui valait demande en mariage. Il s’agit de montrer comiquement une vieille fille revêche qui refuse de tâter du gâteau, par opposition au tableau en pendant, où une jeune fille fait diagnostiquer sa grossesse par un docteur. Voir Les pendants de Jan Steen.
Ferdinand Roybet
Toujours irréprochable, la reconstitution historique s’agrémente parfois d’un rien de gaillardise.
Erato à sa lyre
John William Godward, 1895, collection particulière
C’est d’une main tremblante et du bout des doigts que le peintre victorien taquine un fantasme priapique.
Publicités pour Cusernier, Pal (Jean de Paléologue)
En revanche, sur le continent, la publicité expérimente de manière très directe un motif qui perdurera au travers les marques et les pays, celui de l’appétit irrésistible des femmes pour les flacons. Quand bien même, comme dans la seconde affiche, la bouteille se réputerait « inviolable » face aux passes de la « Mystérieuse ».
Jean Veber, 1906, collection particulière
Toujours provocant, Jean Veber place un Adam et une Eve très animalisés au centre d’une sélection de bestioles érectiles, démontrant par là que leur péché n’a rien d’original.
Vaughan Bass Calendrier « Slick chicks », 1959
La vie des pinups n’est pas toujours simple : la bricoleuse s’étonne d’un résultat imprévu, tandis que la décoratrice se propose d’harmoniser le papier-peint avec sa robe.
Wallace Wood, 1955
L’amatrice de fusées ne tient pas à ce que son fiston lui ramène des cochonneries à la maison.
Réciprocité
Mise en balance d’un saillant et d’un rentrant.
Dans le monde inversé du Carnaval, c’est la Folle fait des avances au Fou en glissant sa jambe entre les siennes et sa main droite vers ses attributs. Le Fou qui ne comprend rien – comme le montent les insectes qui bourdonnent autour de sa capuche – croit qu’elle veut qu’il remplisse sa cruche avec son flacon. Ainsi, tandis que les mains gauches montrent ce que le fou comprend, les mains droites montrent ce que la Folle désire : le Narrenwurst (« saucisse du fou »), un objet de cuir de forme phallique, typique des carnavals germaniques.
Organes suggérés
Maître ES, 1460-70, MET
La demoiselle tient la lance et le heaume qui, combinés, donnent une bonne image de la partie adverse. Réciproquement, le chevalier tient la robe et le bouclier, lesquels évoquent les défenses féminines. Sous la chemise, le soleret de l’un et et la poulaine de l’autre entretiennent un contact discret.
Mercure et Vénus
Spranger, vers 1585, Kunsthistorisches Museum, Vienne
A la cour de Rodophe II, le mode était aux appariements de divinités pouvant donner lieu à un déchiffrage savant comme à une lecture grivoise. L’appariement de Mercure et de Vénus est inédit, et s’explique par la nécessité de faire pendant à une scène plus courante, Vénus et Mars avertis par Mercure (voir Pendants avec couple pour Rodolphe II).
Spranger a probablement [50] trouvé la justification de ce couple dans un traité de mythologie illustrée à l’intention des peintres, où Vincenzo Catari explique que, selon Plutarque :
« les anciens avaient coutume de placer la statue de Mercure avec la statue de Vénus, voulant ainsi signifier que les unions amoureuses ont besoin de divertissements doux et suaves et de paroles agréables, car celles-ci suscitent et préservent souvent l’amour entre les gens. » [51]
Ainsi Vénus couronne Mercure pour le remercier d’être un antidote à l’Oubli, représenté ici par le garnement grimaçant qui éteint une torche en y versant de l’eau. La figure détourne, sous une forme péjorative, celle de l’Amour oublieux (Amor Laetheus) vanté par Ovide :
qui guérit les coeurs malades, en plongeant sa torche ardente dans les eaux glacées du Léthé.
Ovide, Remèdes à l’Amour
qui pectora sanat, Inque suas gelidam lampadas addit aquam.
En contraste, Cupidon escalade un tronc aux branches coupées, dont la raison d’être n’a rien de mythologique. Il donne à l’observateur curieux l’occasion d’emboîter mentalement deux couples d’objets symboliques :
- verticalement, le caducée et la couronne, présentés par les deux grandes divinités ;
- horizontalement, la branche membrue et l’urne coulante, présentées par les deux petits Amours.
Adriaen Brouwer, vers 1635, National Gallery
De part et d’autre du coupe débraillé, le bâton et le pichet dégoulinant reprennent, en moins distingué, les mêmes connotations.
Jan van Beers, date inconnue, collection particulière
Arlequin prend la mesure de son bâton et Pierrette présente le triangle noir de son éventail.
Organes intervertis
Pieter Pietersz (I), 1560-70, Rijksmuseum, Amsterdam
Chacun de deux partenaire manipule l’organe symbolique de l’autre sexe. L’inversion héraldique (le mari devrait être à gauche, voir Couples irréguliers) signale le caractère illégitime du couple.
A noter le détail du petit récipient posé à l’extrême droite : il servait à humidifier la laine ou le lin pour faciliter le filage, comme on le verra encore dans la Fileuse de Courbet, accroché au rouet.
Tandis que se frôlent les objets malhonnêtes – fuseau et pichet de vin, les objet laborieux – rouet et pot à eau – s’écartent sur les marges.
Pieter Pietersz, 1575-99, Kunsthistorisches Museum, Vienne
Pietersz reprend ici les mêmes principes : inversion héraldique et interversion de symboles, pour les mains situées de part et d’autre du tableau : manche de quenouille et cruche. Au centre du tableau, leurs mains touchent la réalité. En contrepoint des jeunes gens, un trio de vieillards se contente de ce qui lui reste : les plaisirs de la table.
Faune et bacchante
William Bouguereau, 1861, collection particulière
Sous couvert de mythologie, cette composition retrouve le même principe de réciprocité : la bacchante s’occupe du manche du thyrse et le satyre du col de l’amphore.
Il est amusant de noter que Rowlandson, avait déjà eu l’idée d’accoupler thyrse et vase, dans une composition dénuée d’ambiguïté.
Pénétration
Saillant rentrant.
Roman de la rose, Français, vers 1400, Université de Valencia, BH Ms. 387, fol. 147v
Cette image ne fait qu’illustrer les riches métaphores du texte :
J’ai tant fait et j’ai tant erré,
Qu’entre les deux piliers d’ivoire,
Vigoureux, fier de ma victoire,
M’agenouillai sans demeurer,
Car moult ai grand’ faim d’adorer
De cœur dévot et pitoyable
Le beau sanctuaire honorable.
Or tout à terre était tombé,
Car tant avait le feu flambé,
Qu’il avait jeté tout par terre,
Sans pourtant aucun mal me faire.
Le rideau j’écarte un petit
Qui les reliques garantit,
Et de l’image je m’approche
Qui du sanctuaire est tout proche.
Moult la baise dévotement
Et veux mettre, en pieux servant,
Mon bourdon dans la meurtrière
Où pend l’écharpe par derrière.
Roman de la Rose, vers 22678-22696
Lucas de Leyde, 1514, MET
Les héroïnes suicidées (Lucrèce ou Thisbé) se perforent le plus souvent noblement. Ici l’image est parfaitement conforme au récit d’Ovide. D’abord le suicide de Pyrame :
Alors l’arme qu’il portait à la ceinture, il se l’enfonça dans le flanc,
et aussitôt, mourant, la retira de sa blessure brûlante.
Il resta à même le sol, couché sur le dos et son sang jaillit bien haut.
Ainsi lorsque un tuyau se fend, à cause d’un défaut du plomb,
en sifflant il lance avec force à travers un petit trou
de longs jets d’eaux qui déchirent et frappent l’air.Ovide, Métamorphoses, Livre IV
La fontaine avec ses jets d’eau est donc un euphémisme inventé par Lucas de Leyde, pour éviter le côté grand guignol d’une illustration littérale.
Ensuite le suicide de Thisbé :
Elle cessa de parler et, appliquant la pointe de l’épée sous sa poitrine,
se coucha sur la lame, encore tiède de la mort de Pyrame.
Si l’emplacement de la pointe est conforme, celui du pommeau est plus inventif : il suggère que l’épée de Pyrame accomplit, par delà la mort, le projet des deux amants.
Vers 1570, série Ten Roundels for Trenchers d’après Maarten van Cleve (c) President and Fellows of Harvard College
Ces deux gravures comparent plaisamment un pot à étourneau pressé d’être rempli, et un pot à lait qui souhaite être libéré de sa charge symbolique.
Petite Barbara, tiens ferme ton pot à étourneau
Pour que ma chouette rentre comme tu aimes.
– Mange vite, Nelis, lève-toi et va-t’en, car je dois aller traire les vaches tout de suite
– Ne me presse pas ainsi, chère Leiß, je pourrais m’étouffer en mangeant si vite.
Barblein hallt ewren Sprepott still,
So kreucht mein kautz nach ewrem will.
– Ist snel Nelis, zaugt euch darvon, Dan ich muß itzund melcken gohn.
– Fagt nicht so sehr mein liebe Leiß, Ich möcht versticken an der Speiß.
Callot,1621-22, série Balli di Sfessania N°20
A son retour d’Italie, Callot réalise une série d’estampes inspirées des nombreux spectacles de rue et de cour donnés à Florence [52] . Outre les plumes, le nez proéminent et l’épée, on voit que ces costumes ne lésinaient pas sur les attributs phalliques.
Même arrangés par la créativité du graveur, il semble que ces duels grotesques caricaturaient différents types de pénétration, à l’épée ou au clystère. On notera même, à l’arrière-plan, un âne importuné par un soufflet.
Peter Wtewael, 1620-30, MET
Cette toile est un véritable florilège des allusions copulatoires hollandaises :
Dans sa main, le garçon tient un canard mort, symbole bien connu du vogelen (l’observation des oiseaux), plus précisément du sexe, de l’organe masculin… Dans l’autre main, il porte une chope en grès dont le couvercle est ouvert, allusion évidente aux organes génitaux féminins. Ses œufs sont sans doute destinés à être aphrodisiaques. La servante n’est pas en reste. Elle tient une broche sur laquelle elle a enfoncé une grosse côte de bœuf, au-dessus de laquelle se trouve une poule. Déjà au XVIe siècle, la métaphore de l’enfilage de viande et de volaille sur une broche ne laissait rien à l’imagination… L’étalage sur la table est tout aussi éloquent. Sur le bord de la table sont posées deux bécassines, oiseaux réputés pour leur libertinage, notamment parce qu’ils sont faciles à attraper. Les lapins qui se trouvent à côté d’eux étaient connus, à l’époque comme aujourd’hui, pour leur propension à se reproduire. Derrière les lapins, la plaisanterie visuelle du pilon et du mortier est explicite, tout comme le coq suspendu au plafond. Le plateau en bois avec le hachoir est plus énigmatique, mais ici – en plus de signifier la même chose que le pilon et le mortier – il s’agit également d’une référence à la coupe d’oignons, un autre aphrodisiaque. Jasper Hillegers ( [17], p 87)
Le lit à la française, Rembrandt, 1646
Les gravures licencieuses ont dû être plus courantes que ce que l’on a conservé. Celle-ci est une des très rares de Rembrandt où l’accouplement est montré. On remarque que la fille a deux mains droites, ce qui crée une décomposition du mouvement tout à fait expérimentale. Le verre sur la table et le béret à plumes sont des objets qu’on rencontre souvent dans la scène du Fils prodigue au bordel, mais ils sont trop peu spécifiques pour caractériser le thème [53].
Le lit est d’un type qu’on rencontre depuis la Renaissance [54], avec un ciel de lit séparé et deux demi-quenouilles coté pied, sur lesquelles retombent les courtines. La partie ouvrante, avec des anneaux coulissant sur une tringle, se trouve du grand côté. Il semble donc que l’homme s’est frayé un accès latéral en décoiffant de son rideau la quenouille centrale et en la coiffant de son béret : actes d’effraction et d’intromission par lequel le mobilier reproduit la scène principale.
Dans cette gravure antérieure qui constitue une sorte d’antithèse, le pot de chambre était visible et la quenouille libre, symboles du désir inassouvi de la femme.
Nicolaus Knüpfer, vers 1650, Rijksmuseum
La fille de gauche a chipé le chapeau à plumes du client pour le planter sur sa jambe lancée à la verticale.
Elle étend le bras droit vers l’enjeu de la compétition, triplement suggéré par le pan de ceinture dorée qui retombe entre les cuisses du jeune homme, le verre long qu’il propose à la concurrente, et l’ombre de celui-ci sur l’oreiller. La pomme posée au bon endroit complète cette savante évocation.
Wiertz, 1861, Musées royaux des Beaux Arts, Bruxelles
Le titre énigmatique invite à lire cette pastorale comme une Vanité dissimulée, genre dont Wierz s’est fait une spécialité. Sans doute faut-il comprendre que la joliesse de Cupidon, qui s’enfuit après avoir tiré sa flèche, cède la place à la violence sexuelle, matérialisée par la pointe acérée de la houlette.
Wiertz, 1859, Musées royaux des Beaux Arts, Bruxelles
Cette toile antérieure présente une moralité similaire : un Cupidon sinistre tend sa pointe derrière les roses, pour que la jeune fille s’y pique.
Les phallomorphoses
Dans cette formule rare, le phallus se dissimule dans une astuce graphique.
Bergers dans un paysage, Fragonard, vers 1765, Château d’Annecy
Le berger, la bergère et leurs trois moutons….
Matthew Darly, 1776, Louvre
Quelle félicité pour ce jeune amoureux
Il est dans ce moment au comble de ses voeux
Puisqu’il peut sans rougir observer tour à tour
Ces trésors enchanteurs destinés à l’amour.
La perruque du jeune homme illustre le « comble de ses voeux », celle de la jeune femme les « trésors enchanteurs destinés à l’amour ».
Char de triomphe, lithographie de Cham (Amédée de Noé), 1858
Dans cette charge contre le pouvoir féminin, c’est la forme d’ensemble qu’il faut voir.
Van Dongen, date inconnue, collection particulière
La plaisanterie tient à la silhouette rouge du prélat.
Mars qui rit malgré les averses, prépare en secret le Printemps.
Henri Gerbault, Fantasio, 1er Mars 1926, Gallica
La citation de Théophile Gautier nous invite à constater que cette éducatrice de jeunes enfants représente un Mars bien constitué.
A l’issue de ce parcours, difficile de ne pas en voir partout…