Des productions naturelles presque toujours inoffensives, sauf dans des situations pernicieuses.
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Les légumes dans le décor
Parmi des dizaines de légumes évoquant l’abondance, la courge et la figue ouverte, désignées par la main de Mercure, illustrent crument le thème général de la décoration, les amours de Cupidon et Psyché [17a].
Suite à cet exemple prestigieux, les courges phalliques vont revenir de loin en loin, hors de tout contexte amoureux. Elles accompagnent ici une sentence irréprochable :
Il est plus nécessaire de guérir l’âme que le corps. Car il vaut mieux mourir que vivre mal.
Magis necessarium est mederi animae, quam corpori. Mori enim melius est quam male vivere.
Graveur Herman Müller d’après Jacob Floris l’ancien, imprimeur Hans Liefrinck, Anvers
Dans l’image de gauche, les mêmes courges font écho aux petits faunes ithyphalliques présentés par leur mère, qui accompagnent gratuitement cette sentence lapidaire d’Horace :
C’est chose pleine d’attrait pour qui n’en a pas l’expérience que de cultiver l’amitié d’un grand ; l’expérience faite, c’est chose qu’on redoute
Dulcis inexpertis cultura potentis amici ; expertus metuit
L’image de droite introduit la série « Différents types de cartouches profitables aux peintres, orfèvres, sculpteurs et autres artistes ». Les objets qui pendent en bas se réfèrent à ces métiers. L’oeil s’arrête, à côté de la médaille de l’orfèvre, sur un outil énigmatique à coulisse, que je n’ai pas pu identifier. Il semble former un couple mâle-femelle avec les coquilles de moules, de l’autre côté, utilisées comme godets pour les couleurs [18].
Scènes de marché à l’italienne
Sous l’influence de l’art hollandais, mais sans l’alibi d’une scène biblique à l’arrière-plan, des scènes de genre basées sur une accumulation sensuelle de victuailles apparaissent de manière assez abrupte dans l’art du nord de l’Italie, à Crémone et à Bologne, entre 1580 et 1585 [19].
Passarotti : des anecdotes grivoises
Bartolomeo Passarotti, vers 1580, Fondation Roberto Longhi
Ce tableau s’inscrit dans la symbolique très courante de la volaille phallique, et évoque l’ambiance de la prostitution, avec la vieille entremetteuse qui embobine les coqs et la jeune femme plantureuse qui montre sa jambe et sa dinde plumée (voir L’oiseau licencieux). A noter en bas à droite la signature parlante du peintre, un passereau, ici perché sur un verre de vin.
Bartolomeo Passarotti, vers 1580, Gemäldegalerie, Berlin (photo Christoph Schmidt)
La diagonale montante divise la composition en deux moitiés :
- à gauche, la vieille piégeuse de volailles, qui montre son épaule osseuse comme pour aguicher encore son coq ;
- à droite, une ambiance radicalement différente : une jeune mère et son fils, au dessus d’une pyramide de navets, de courges et de melons.
Un lecture plus précise que celle, souvent proposé, des « trois âges », relève l’opposition entre les deux types de femmes :
- à gauche la femme vénale, vouée à vieillir stérilement ;
- à droite la mère protectrice, comme le signifie son collier de corail.
Ce dont elle cherche à protéger encore un moment l’innocence de son garçon, c’est de la sexualité qui s’annonce, avec la queue de la courge qui s’érige vers le melon qui s’entre-baille. Passarotti transpose en somme, sur un mode profane, le thème très italien de la Madone triste, où la Vierge tente d’éloigner l’Enfant de son futur tragique, figuré par un chardonneret ou une mouche (voir 4-2 Préhistoire des mouches feintes : dans les tableaux).
Bartolomeo Passarotti, 1580, Palais Barberini Rome
L’étalage propose une étonnante confrontation sexuelle :
La moule géante et béante associée à la vieille femme évoque un sexe féminin. Cette moule démesurée est mise en présence d’une autre moule de forme phallique se dressant devant le vieil homme. L’âge avancé des deux protagonistes accentue l’aspect comique de la connotation sexuelle. Cet aspect risible est renforcé par l’analogie physique existant entre le poisson-globe tenu par la vieille femme et le visage de cette dernière : même rotondité de la tête, mêmes incisives inférieures et mêmes petits yeux vifs. Valérie Boudier, [20]
La signification de cette étrange scène de genre reste néanmoins à préciser. On remarquera d’abord, dans le coin supérieur droit, la signature parlante de Passarotti, le moineau, en proie à la concupiscence féline.
Cette saynette aide à comprendre le comique de la moitié gauche, placée quant à elle sous le signe de la concupiscence féminine : la poissonnière exigeante autant que peu ragoutante, montre à son vieux mari un poisson-globe, autrement dit un poisson capable d’un gonflement spectaculaire [21]. Avec un air résigné, le vieillard débarrasse d’un byssus incrusté de coquillages son organe vétuste et encroûté, mais qui reste de bonne taille.
Campi : des clins d’oeil appuyés
Dans ses compositions alimentaires, Campi juxtapose les allusions, mais sans chercher, comme Passarotti, à les coordonner en une anecdote originale.
La cuisinière, école de Campi, collection particulière
Le côté comique du sujet tient à ce que l’innocente cuisinière manipule un pilon, objet ostensiblement viril, pour casser des noix, fruit dont la coque est un symbole bien connu de la virginité féminine. Le jeune homme qui en dérobe une en nous faisant un signe de complicité, sert à déminer le sujet à l’intention des spectateurs naïfs, qui ne verront que ce menu larcin.
Vincenzo Campi, 1578-81, Brera, Milan
Dans cette composition typique de son procédé d’accumulation, Campi a confié le pilon à une vieille, qui goûte la sauce du bout du doigt. Dans ce florilège de métaphores grivoises empruntées à l’art hollandais, pratiquement tous les gestes sont à double sens : rapper le fromage, rouler la pâte, vider la volaille. Un boucher écartèle un veau, un apprenti s’applique à embrocher une poularde, un garçonnet s’évertue à souffler dans une vessie tandis que son équivalent minuscule s’échappe hors de sa braguette.
Campi, 1580-81 Fuggerschloss, Kirchheim
Cette toile est une des cinq commandées par Fugger pour décorer la salle à manger de son château de Kirchheim. Les fayots, que le père avale à grande cuillerées et que la mère essaye de faire manger au fiston, sont un légume érotique, souvent assimilé aux testicules dans les paillardises italiennes ( [22], p 109 ). La mère nous montre d’un air entendu la carafe confortablement érigée sur l’entrecuisse de son mari. Le bébé, qui a mis trop tôt la main dans le pot, se fait mordre par une écrevisse, crustacé associé à l’excitation sexuelle ( [22], p 112 ). D’un pied, il enfonce la louche dans la soupière, présage d’une virilité prometteuse.
La vendeuse de fruits (fruttivendola), Campi, 1580-81, Fuggerschloss, Kirchheim
Dans cet autre tableau réalisé pour Fugger, la séduisante marchande de primeurs vend aussi quelques fleurs, dont un lys proéminent planté au milieu d’un panier, tel le drapeau de sa virginité. Par ailleurs elle pèle d’un air entendu le fruit du péché, une pomme. Au milieu des fruits d’été, cet unique fruit d’automne détonne. Il faut le rattacher à la scène de l’arrière-plan, où un jeune homme secoue un pommier dont les fruits sont recueillis par un couple [23].
Barry Wind ( [22], p 113) explique judicieusement la scène par référence à cette gravure allemande un peu postérieure, dont la moralité latine est la suivante :
Quand la pomme mûrit et que la vierge devient pubère,
La pomme veut être cassée et la vierge aussi veut tâter du bâton.
Cum maturescit pomum virgoque pubescit
Pomum vult frangi, virgo quoque stipite tangi
Dans cette variante, le lys a été remplacé par un godelureau arborant sur son chapeau une plume de faisan, tenant une botte d’oignons [24] et se fourrant l’auriculaire dans l’orifice naturel. De l’autre côté, au dessus du fléau de la balance romaine, un gros melon fracturé a remplacé les pêches fessues. Et dans l’arbre de l’arrière-plan, l’homme lâche les fruits directement dans la robe de sa partenaire. Tout indique que la marchande de fruits a perdu sa virginité.
Frangipane : des grivoiseries assumées
Allégorie de l’Automne
Nicolò Frangipane, 1597, Château d’Udine
Un doigt dans le melon fendu et une main sur la saucisse, le satyre rend manifeste le rêve du jeune flûtiste.
Nicolò Frangipane, avant 1597, collection particulière
Quatre chanteurs menés par un ruffian donnent un concert champêtre, accompagnés par une pie qui s’égosille. De même que le chat s’intéresse moins au chant qu’à l’oiseau (voir Le chat et l’oiseau), de même les joyeux fêtards qui les cernent s’intéressent moins au madrigal qu’au charme des jeunes concertistes. Il forment une farandole bacchique où chacun se touche d’un air égrillard : un faune, un juif à turban, un godelureau à plumet, un bacchus tenant un coupe de vin et de pain trempé, un couple de pâtres.
L’un d’eux nous fait le signe du secret tout en malaxant son boudin, tandis que Bacchus frotte l’autre boudin à une outre fessue.
Composée de pomme et de boudins, la nature morte centrale, très explicite dans la version conservée en Belgique, a été expurgée dans la version vendue par Christies.
Caravage : la sublimation réaliste
Caravage, vers 1603, Denver Art Museum
Après vingt ans d’allusions déguisées plus ou moins salaces, Caravage introduit dans la peinture italienne un genre nouveau, celui de la nature morte sensuelle, où le scabreux se dissimule sous une ostensible fidélité au réel :
Caravage a disposé des melons, des grenades, des courges, des figues et d’autres fruits pour suggérer la turgescence sexuelle et la réceptivité à la pénétration. Une fois que l’on remarque la tige du melon central dirigée vers une figue éclatée et les deux gourdes charnues reposant langoureusement sur une paire de melons fraîchement coupés, une autre lecture est-elle possible ? Il s’agit de la première nature morte érotique à être autonome, son imagerie n’étant plus confinée aux marges ou éclipsée par la présence humaine. John Varriano [25]
Une postérité sporadique
Georg Flegel, 1637, Landesmuseum Münster
Parmi les nombreux tableaux de marché et natures mortes de Georg Flegel, on ne trouve rien d’équivalent à ce fragment de bretzel qui se penche sur ces deux noix, et sur un autre fragment qui semble copuler avec lui-même. Soit l’obscénité est involontaire, soit plus probablement elle résulte de la commande d’un amateur de curiosités.
Bulbes
Carl Spitzweg, 1855, Grohmann Museum, Milwaukee
Dans une première lecture, ce fonctionnaire vieillissant, accablé par le passage du temps et l’empilement des dossiers, regarde d’un air attendri le fleurissement inattendu de son cactus. Dans une seconde lecture, les ombres obliques de la fenêtre conduisent l’oeil du cactus au haut de forme, et de là au crâne chauve du bonhomme : on comprend alors que le cactus fleurissant est l’antithèse de sa virilité disparue.
Le champignon, pastel
Franz Von Stuck, 1882-83, collection particulière
Au premier degré, ce pendant recto verso révèle que le champignon n’était qu’un bébé chapeauté : alibi humoristique qui fait oublier la forme impudique du jeune bolet.
Maman Champignon avec ses enfants
Edward Okun, vers 1900
On doit à Edward Okun une femme-araignée (Fil d’or), une femme-paon (Le Printemps) et une femme-fauve (Fraulein Leopardus, 1906). Ces recherches rendent plus expliquable cette mère-champignon cernée par ses « enfants », dont la coiffe turgescente semble la rendre perplexe.
Tiges
William Etty, 1846, Tate Gallery,
Dans le poème L’Eté de James Thompson (1727), le jeune Damon décide, par pudeur, de ne pas regarder la belle Musidora, qui se baigne nue en pensant être seule. Chef d’oeuvre d’hypocrisie, le tableau fonctionne donc à l’inverse de ce qu’il prétend illustrer [26]. Son titre se rapporte au dernier instant avant la baignade :
Elle reste exposée à ses regards, et se retire en rougissant de peur d’être vue ; alarmée du moindre souffle, et sautant comme un faon craintif, elle s’élance dans le fleuve.
Traduction Bontems, 1759
And fair-expos’d she stood, shrunk from herself,
With fancy blushing, at the doubtful breeze
Alarm’d, and starting like the fearful fawn?
Then to the flood she rush’d;
La tige à laquelle Musidora se retient est justifiée par ce moment de suspens. Ce pourquoi les spectateurs de l’époque, l’oeil suffisamment occupé par l’irruption dans la campagne anglaise d’une nudité enfin autorisée, n’y ont pas vu malice : elle pourrait pourtant passer pour le symbole tangible de l’admiration de Damon.
Anders Zorn, 1885, collection particulière
Les exubérances végétales du premier plan fonctionnent en repoussoir, en accentuant la profondeur et l’effet de clair-obscur. Les tiges qui perforent la feuille se projettent, au delà du ventre de la nymphe, dans la tige brisée que le petit amour manipule d’un air dépité, découvrant la déception après l’essor.
Animaux phalliques
J’ai consacré à ces exemples surabondants des articles dédiés.
Pour les volatiles :
- L’oiseau licencieux
- Les oiseaux licencieux
- L’oiseau chéri
- La douce prison
- La cage à oiseaux : en sortir
- La cage à oiseaux : y entrer
- L’oiseau envolé
- La liberté ou la cage
- Nourrir l’oiseau
- Nourrir des oiseaux
- L’oiseleur
- L’oiseleuse
- La Luxure à l’oiseau
Pour les souris :
- La souricière
Pour les chats :
- Pauvre minet
- Pauvre minet (XIX et XXème)
- Le chat et l’oiseau
- Le chat et l’oiseau : autres rencontres
Pour les lapins :
- Le lapin et les volatiles 1
- Le lapin et les volatiles 2
En aparté : la symbolique sexuelle du limaçon
Dans l’Antiquité
La symbolique vaginale de la conque, attribut de Vénus, est attestée depuis l’Antiquité et a été exploitée par plusieurs artistes de la Renaissance italienne, à commencer par Botticelli (voir 5.1 Des objets ambigus). Mais on en sait moins sur l’escargot.
Hésiode compare son hibernation pendant l’hiver au retrait dans la maison de sa mère de la jeune vierge « étrangère aux jeux de la belle Vénus », escargot affamé qui se rue sur sa proie dès le printemps [27]. Selon l’interprétation hermétique de ce passage par de F.Bader, l’escargot « appartient à un univers masculin, parce que son pied rétractile fournit une représentation du membre viril » [28]. L’escargot jouirait donc d’un symbolisme contradictoire : phallique hors de sa coquille, et virginal lorsqu’il s’y enferme.
Plaute utilise l’expression « limare caput » pour signifier « se frotter à la manière des limaces » [29]. Et il traite de limaces (limax) des femmes vénales peu ragoûtantes :
Non pas comme sont ces limaces blafardes, ces horreurs parfumées de lavande, Phrynés à deux oboles, avec leurs chevilles torses, leurs jambes de fuseau, leurs cheveux arrachés et leurs oreilles mutilées, cathéreuses, boiteuses, pelées, édentées. [30]
Non quasi, ut hæc sunt heic limaceis lividæ,
Diobolareis, scœnicolæ, miraculæ,
Cum extortis talis, cum crotilis crusculis,
Capillo scisso, atque excissatis auribus.
Scratiæ, scrupedæ, strictivillæ, edentulæ.
Il semblerait que le jeune fille qui médite devant un autel à Priape porte une coiffure antérieure d’un bon siècle à l’époque de la célèbre Messaline, épouse réputée luxurieuse de l’empereur Claude [31]. Le revers aurait donc été gravé dans un second temps. Il y a consensus sur la traduction de l’inscription : Messaline invaincue, (femme) de Claude. L’adjectif « invicta » fait allusion à une compétition restée fameuse :
Messaline, femme de l’empereur Claude, jugeant cette peine digne d’une impératrice, choisit pour ce combat une prostituée des plus renommées parmi celles qui trafiquent de leur corps, et elle la vainquit en soutenant pendant un jour et une nuit vingt cinq assauts. Pline, Histoire naturelle, Livre X, chapitre LXXXIII
Mais les spécialistes n’ont pas explicité le lien portant assez clair entre l’adjectif et l’emblème : les sept phallus en attaque sont assimilables à des oiseaux, dont l’escargot non seulement n’a pas peur, mais vient à bout successivement ou simultanément (invicta) . L’escargot déployé signifie donc ici le sexe féminin triomphant, le contraire de la Vierge recroquevillée dans sa coquille
Au Moyen-Age
Dans les drôleries gothiques, on rencontre fréquemment un chevalier en armure mis en déroute par un animal réputé faible : lapin ou escargot [32]. Pour Michael Camille [33] ou Jean Wirth [34] cette image de type « monde à l’envers » se double parfois d’un sous-entendu plus direct aux organes génitaux : chevalier laissant tomber son épée devant un gastéropode en majesté .
C’est indubitablement le cas dans cette page, qui place un homme bien pourvu – le cornemuseux – et un homme dévirilisé – le chevalier qui perd ses moyens devant l’escargot- face à une femme dont le panier est attaqué par un bouc.
Bien sûr la symbolique de l’escargot n’est pas exclusivement féminine : ici au contraire, l’animal est mis en balance avec deux objets phalliques auquel la femme tient : son fuseau et le membre de son mari, qu’elle agrippe semble-t-il sous sa robe.
A la Renaissance
A la Renaissance, on ne savait toujours pas que l’escargot est hermaphrodite [35]. On se savait pas non plus – en tout cas on n’en a pas de preuve écrite – que certaines espèces d’escargots se perforent avec un « dard d’amour », dans lequel un naturaliste voit l’origine des flèches de Cupidon [36]. Entre la symbolique masculine et la symbolique féminine , c’est plutôt la seconde qui semble encore l’emporter, d’après les rares exemples connus [37].
Copie d’après Hans Brosamer, vers 1538, MET
Dans cette iconographie unique, le véhicule habituel de Vénus, conque ou dauphin, est remplacé par un escargot qui, à la manière d’un hydroglisseur, la propulse vers le rivage. Un pied sur la coquille, elle dirige de l’autre la tête de l’animal.
Dans cette fantaisie, deux puttos chevauchent chacun son escargot :
- l’un réussit à lui faire hausser le col, en le caressant avec une aile plantée au bout d’un bâton : symbole aviaire, donc phallique (voir L’oiseau licencieux) ;
- l’autre, armé d’un balai, n’aboutit qu’à lui faire piquer du nez.
C’est donc bien la fonction érectile qui est visée, mais est-elle pour autant masculine ? On peut imaginer que le gastéropode gaillard signifie une monture pleinement satisfaite des caresses de son cavalier, tandis que l’autre se décourage suite à la maladresse du sien.
Deux Cupidons dépités
Les allégories très originales de Maître HL (le sculpteur Hans Leinberger ?) sont difficiles à déchiffrer.
Monogrammiste HL, 1533, NGA, Washington
Ces deux gravures formaient probablement un pendant, puisque Cupidon y brandit un arc à la corde cassée et tient dans sa main droite une flèche brisée.
Dans la première, il semble que Cupidon, en perdant l’équilibre sur sa boule, a cassé en trois morceaux la flèche qu’il sortait du carquois dans l’intention de s’attaquer aux baigneurs : ceux-ci restent donc protégés du désir sexuel, de même que, dans la célèbre Némésis de Dürer, la déesse de la vengeance passe sans s’arrêter au dessus du village paisible.
L’élément troublant est la double érection de part et d’autre du carquois : de la base hors du noeud et des flèches hors de la gueule dentée. Le monogramme de Maître HL, accompagné de son emblème habituel, le ciseau de sculpteur, est visible sur la partie décalottée du fourreau.
Cupidon chevauchant un escargot sur un tapis de champignons
Monogrammiste HL, 1533, NGA, Washington
Une des motivations de maître HL était certainement l’exactitude naturaliste à la Dürer, dans cette représentation peu commune de l’animal à quatre cornes. Mais la symbolique sexuelle y prend elle-aussi sa part. Compte-tenu de ce que nous avons vu plus haut, cette iconographie extraordinaire fait hésiter entre deux lectures :
- Cupidon combat le gastéropode et a brisé sur lui la flèche qu’il brandit, ainsi que celles du carquois ; l’image serait donc à classer dans la lignée des combats entre escargots et chevaliers [37a] ;
- Cupidon chevauche l’escargot (comme Vénus dans la Copie d’après Hans Brosamer) : déjà peu rapide, la monture s’est détournée pour flairer un lit de champignons et son cavalier essaye vainement de la faire avancer.
Le détail significatif de l’aile ficelée au bout de la flèche, identique à celle de la composition de Niklaus Manuel Deutsch, fait pencher vers la seconde lecture : il s’agit bien d’exciter et de faire avancer l’escargot, comme le confirme le grelot attaché à la main gauche de Cupidon.
Le tapis de bave à l’avant de la bête (rose foncé) montre qu’elle s’est retournée en arrière (flèche jaune) pour s’intéresser au tapis de champignons (bleu clair).
Ainsi le glissement des fronces vulvaires sur les chapeaux phalliques reprend, en inversant les proportions, la composition de la gemme de Messaline : c’est ici une féminité géante qui triomphe sur une armée de petits membres décimés. En remplacement de la flèche cassée de Cupidon, le ciseau fiché dans la souche et le panonceau de maître HL (en orange) semblent fixer une frontière à l’avancée de cette sexualité féminine débordante.
Article suivant : 3 Phalloscopiques par destination : les fruits de l’Industrie
Pour une bonne synthèse sur les différentes significations médiévales, voir https://justhistoryposts.com/2017/11/13/medieval-marginalia-why-are-there-so-many-snails-in-medieval-manuscripts/ [33] Michael Camille, Image on the edge : the margins of medieval art, p 35 https://archive.org/details/imageonedgemargi0000cami/page/35/mode/1up [34] Jean Wirth Les marges à drôleries des manuscrits gothiques (1250-1350) p 23, p 110
Sur la transmission possible via les intailles antiques, voir p 137 [35] Aucune mention dans les auteurs grecs et latins. Seule l’étymologie du mot persan (homme-femme) laisse supposer au les Perses aurait pu en avoir la notion. L’hypothèse semble avoir été émise pour la première fois par l’anatomiste Harder en 1679.
Sur les deux points, voir André-Etienne-Just-Pascal-Joseph-François d’Audebard baron de Férussac « Histoire naturelle générale et particulière des mollusques terrestres et fluviatiles… volume 2 », 1819, p 97 note 1 et p 133 https://books.google.fr/books?id=6hBQAAAAcAAJ&pg=RA1-PA133 [36] https://en.wikipedia.org/wiki/Love_dart?oldid=482190766 [37] Egbert Haverkamp Begemann « Fifteenth- to Eighteenth-century European Drawings » MET 1999 p 86 https://books.google.fr/books?id=VCCzi4lQ7eAC&pg=PA86 [37a] Megan L. Erickson « From the Mouths of Babes: Putti as Moralizers in Four Prints by Master H.L. » MofA, 2014 https://digital.lib.washington.edu/server/api/core/bitstreams/0951a156-4720-4332-8790-0e0f7d16054b/content