L’histoire complexe entre Prince et les Beatles n’est pas simplement celle d’un grand artiste ayant tardé à découvrir un groupe pourtant fondateur. Elle révèle plutôt la manière singulière dont un musicien hors du commun, porté par une recherche constante d’identité et de sens, peut se confronter à une œuvre canonique. Prince n’a jamais « détesté » les Beatles, mais son lien avec leur musique s’est construit sur une temporalité décalée et un rapport utilitaire, voire analytique, avant de déboucher sur un regard plus nuancé et spirituel.
Sommaire
- Le point de départ : une découverte tardive et inattendue
- De l’étude à l’appropriation : la recherche d’influences
- Le cas « I Am the Walrus » : l’incompréhension face à un chef-d’œuvre décalé
- John Lennon au-delà des Beatles : la quête de l’universel
- Le relativisme des perceptions artistiques
- L’héritage de « I Am the Walrus » : une force intemporelle
- Conclusion : deux génies, deux visions
- Cet article répond aux questions suivantes :
Le point de départ : une découverte tardive et inattendue
C’est « Good Morning Good Morning », titre moins souvent cité du monument Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967), qui a frappé Prince au cœur de sa carrière, alors qu’il avait déjà développé son propre univers sonore hybride, mêlant funk, soul, rock, R&B, pop et avant-garde. Cette entrée dans l’univers Beatles est déjà un paradoxe : au lieu de se tourner naturellement vers leurs morceaux les plus célèbres — « Yesterday », « Strawberry Fields Forever » ou « Hey Jude » — c’est un titre plus obscur, souvent considéré comme mineur, qui suscite l’enthousiasme du musicien de Minneapolis. On imagine Prince, déjà focalisé sur la structure, les timbres, les innovations harmoniques et rythmiques, abordant ainsi la discographie des Beatles comme un terrain d’étude où piocher de nouvelles idées.
De l’étude à l’appropriation : la recherche d’influences
Prince, connu pour sa rigueur de travail et son immersion totale dans la création, n’appréhende pas les Beatles en tant que fan traditionnel. Il ne se laisse pas porter par la nostalgie ou l’émotion culturelle qui entoure le groupe. À la place, il dissèque leur musique, cherchant à comprendre comment ces quatre jeunes de Liverpool ont pu engendrer un tel bouleversement esthétique. Cette démarche rappelle celle d’un savant décomposant des formules pour en extraire l’essence. Prince épluche leurs harmonies, leurs progressions d’accords, leurs arrangements, afin de revitaliser son propre langage musical. Mais ce n’est qu’avec le temps et l’évolution de sa propre carrière que le « plaisir » d’écouter les Beatles sur un mode plus contemplatif s’imposera à lui.
Le cas « I Am the Walrus » : l’incompréhension face à un chef-d’œuvre décalé
« I Am the Walrus », parue en 1967 en face B du single « Hello, Goodbye » et sur la bande originale du film télévisé Magical Mystery Tour, est un titre emblématique de la période psychédélique des Beatles. Écrite principalement par John Lennon, elle incarne un désir d’expérimentation, d’hermétisme lyrique, de mélange des genres et des références : du nonsense d’inspiration « Lewis Carrollienne » aux influences de la musique classique, en passant par les sons distordus, les superpositions de voix et les allusions cryptées.
Là où la critique et la majorité des musiciens voient un jalon révolutionnaire, une remise en cause des codes du rock traditionnel et un geste fondateur pour la musique populaire, Prince, dans sa période de réflexion spirituelle et de conflit créatif avec son label, reste hermétique. Pour lui, l’absence de sens littéral, la complexité apparente, ce jeu onirique de symboles et de références obscures, ne trouvent pas d’écho dans sa propre quête artistique du moment. À la même époque, Prince se bat pour la maîtrise de sa musique, pour une expression sincère de sa foi, de ses valeurs et de son identité, cherchant une clarté intérieure plus qu’un cryptage délibéré. « I Am the Walrus » lui apparaît alors comme un exercice ésotérique, peut-être vide de vérité à ses yeux.
John Lennon au-delà des Beatles : la quête de l’universel
Prince pointe du doigt la trajectoire personnelle de Lennon. À ses yeux, l’homme, après la dissolution des Beatles, a acquis une maturité et une universalité qu’il juge supérieures. Les morceaux tardifs, tels qu’« Imagine » (1971), expriment une vérité dépouillée, un message pacifiste, humaniste, limpide, reflétant un esprit émancipé du groupe. Cette simplicité directe lui semble plus durable, plus essentielle. Là où « I Am the Walrus » désoriente, « Imagine » rassure, éclaire, porte un message intemporel. Prince, dans sa comparaison, salue la sincérité, la vérité humaine profonde qui, selon lui, transcende les jeux d’esprit conceptuels.
Le relativisme des perceptions artistiques
Prince n’est pas le premier musicien, ni le dernier, à aborder un grand classique avec un regard perplexe. L’œuvre des Beatles, comme celles d’autres légendes, est susceptible de multiples interprétations. Ce qui pour certains est un manifeste avant-gardiste, peut pour d’autres paraître abscons ou forcé. Le commentaire de Prince est d’autant plus intéressant qu’il reflète ses préoccupations du moment : sa quête d’authenticité, sa réticence à l’égard des artifices et des détours symboliques. En un sens, il critique moins « I Am the Walrus » elle-même que le manque apparent de vérité pure qu’il lui attribue, dans un contexte où lui-même cherche un ancrage spirituel et artistique clair.
L’héritage de « I Am the Walrus » : une force intemporelle
Malgré l’incompréhension de Prince, « I Am the Walrus » continue de rayonner. Plus de 50 ans après sa sortie, elle fascine toujours tant par son audace musicale que par son statut de symbole de la liberté créative. Elle témoigne du pouvoir qu’ont eu les Beatles de redéfinir ce qui était possible dans la pop et le rock, fusionnant à la fois la haute culture, le surréalisme, la satire et le brouillage des repères esthétiques.
De la scène alternative contemporaine aux réinterprétations orchestrales, « I Am the Walrus » demeure un matériau vivant, une source d’inspiration pour les artistes en quête de renouvellement et un mystère stimulant pour les auditeurs. Ce que Prince jugeait comme un moment moins universel de la carrière de Lennon persiste pourtant à intriguer, à provoquer et à servir de passerelle vers une autre forme de créativité. Son jugement, somme toute subjectif, n’a en rien terni la postérité de ce morceau cryptique, et illustre au contraire la richesse d’un patrimoine musical ouvert à des perceptions multiples.
Conclusion : deux génies, deux visions
Au bout du compte, le point de vue de Prince sur « I Am the Walrus » s’inscrit dans l’histoire plus large de l’héritage des Beatles, qui se nourrit de la confrontation des sensibilités. Tandis que la plupart célèbrent sa radicalité, Prince, dans un moment de remise en cause personnelle, préfère la clarté spirituelle d’« Imagine ». Ces deux attitudes révèlent la dualité éternelle de la musique : entre expérimentation et simplicité, symboles cryptés et messages explicites, toute œuvre peut être regardée sous un angle différent. L’art vit précisément de cette pluralité de regards — et c’est ce qui, en fin de compte, fait la grandeur des Beatles, de Lennon, et même de Prince lui-même.
Cet article répond aux questions suivantes :
- Pourquoi Prince n’a-t-il pas immédiatement apprécié les Beatles ?
- Quelle chanson des Beatles a changé la perception de Prince envers le groupe ?
- Quelles étaient les critiques de Prince à propos de « I Am the Walrus » ?
- Que pensait Prince de la musique de John Lennon après les Beatles ?
- Pourquoi « I Am the Walrus » reste-t-elle emblématique malgré les critiques de Prince ?