Adaptée du roman primé de Charles Yu, Interior Chinatown est une série qui s'attaque à un projet ambitieux : transposer à l'écran un récit profondément méta-narratif, conçu comme une satire des stéréotypes hollywoodiens sur les Américains d'origine asiatique. Avec Taika Waititi à la production et une équipe talentueuse menée par Yu lui-même, cette adaptation en 10 épisodes promettait d'être à la fois une critique culturelle incisive et une œuvre divertissante. Pourtant, si la série regorge d'idées brillantes et de moments marquants, elle finit par s'embourber dans sa propre complexité narrative et son rythme parfois hésitant.L'histoire suit Willis Wu (incarné par Jimmy O. Yang), un serveur dans le restaurant de son oncle, le Golden Palace, qui aspire à sortir de son rôle de figurant perpétuel dans une série fictive, Black & White.
Ce procedural policier, caricature évidente de franchises comme Law & Order, est filmé dans un Chinatown fictif où les habitants sont réduits à des stéréotypes : " Livreur ", " Tech Guy ", " Femme de salon de manucure ", et bien sûr, " Generic Asian Man ". La frontière entre réalité et fiction est délibérément floue, avec des transitions visuelles et sonores qui plongent le spectateur dans une atmosphère tour à tour onirique et satirique. Ce cadre sert de toile de fond à une réflexion sur les rôles imposés aux minorités dans les récits culturels dominants. Chaque épisode explore un nouveau stéréotype, que Willis doit endosser pour gravir les échelons dans son monde fictif. Cette idée, brillante sur le papier, donne lieu à des scènes tantôt hilarantes, tantôt poignantes. Cependant, l'exploration de ces tropes finit par se heurter à ses limites : la répétition dilue l'impact initial et ralentit l'intrigue principale.
Au cœur de Interior Chinatown se trouve une critique acerbe des stéréotypes raciaux et de leur persistance dans les médias. La série excelle lorsqu'elle aborde ces questions de manière subtile, par exemple en montrant comment Willis et les autres personnages intègrent, voire internalisent, ces rôles assignés. Les scènes dans l'immeuble où vivent Willis et sa famille, entre disputes, moments de tendresse et discussions philosophiques sur leur identité, apportent une humanité et une profondeur bienvenues à une série qui peut parfois paraître trop intellectuelle. Cependant, cette réflexion est parfois obscurcie par un récit qui se perd dans des méandres inutiles. L'enquête centrale - la disparition mystérieuse du frère de Willis, un maître de kung-fu - manque de tension et s'étire sur trop d'épisodes. De plus, la nature volontairement surréaliste de Chinatown, où les lois du réel semblent fluctuantes, réduit l'impact émotionnel de certains enjeux.
Si tout peut arriver sans explication logique, pourquoi se soucier des conséquences ? Jimmy O. Yang offre une performance nuancée dans le rôle de Willis Wu. Son mélange d'épuisement, de cynisme et d'espoir fait de lui un protagoniste crédible, même lorsque le scénario l'éloigne du réalisme. Ronny Chieng, dans le rôle de Fatty Choi, apporte une énergie comique bienvenue, même si son personnage est parfois relégué à des gags répétitifs. Chloe Bennet, en tant que Lana Lee, ajoute une complexité intrigante à son rôle de détective déclassée, mais son arc narratif reste sous-exploité. Les véritables stars, cependant, sont les parents de Willis, joués par Diana Lin et Tzi Ma. Leurs performances subtiles ancrent la série dans une réalité émotionnelle qui contraste avec ses aspects plus stylisés. Leurs scènes, souvent bilingues, sont parmi les plus touchantes de la série, rappelant la lutte constante entre les attentes culturelles et les aspirations personnelles.
Le choix de Yu de conserver l'essence méta-narrative de son roman dans un format télévisuel est à la fois la plus grande force et la plus grande faiblesse de la série. Les téléspectateurs familiers avec le livre apprécieront sans doute la manière dont la série transpose ses idées complexes à l'écran. Pour les autres, cependant, le mélange de parodie, de commentaire social et d'intrigue dramatique peut sembler désorientant, voire laborieux. Chaque épisode est structuré comme un niveau dans un jeu vidéo, où Willis progresse lentement vers son objectif ultime : devenir plus qu'un simple stéréotype. Mais cette progression est entravée par des digressions qui freinent le rythme. Les scènes dans le cadre de Black & White sont initialement hilarantes, mais leur répétition finit par diminuer leur impact. La série semble parfois plus préoccupée par ses propres idées qu'à captiver son audience.
L'un des défis majeurs de Interior Chinatown est de jongler entre ses ambitions métaphoriques et la nécessité de raconter une histoire engageante. Lorsqu'elle se concentre sur la condition des personnages et leur lutte pour sortir des cases où ils ont été enfermés, la série brille. Mais lorsqu'elle s'attarde trop sur son propre concept, elle risque de perdre de vue ce qui fait qu'une série fonctionne avant tout : des personnages auxquels le public peut s'identifier et une intrigue qui avance de manière satisfaisante. Interior Chinatown est une série qui mérite d'être saluée pour son audace et sa volonté de s'attaquer à des sujets rarement abordés à la télévision. Elle regorge de moments brillants, de réflexions pertinentes et de performances mémorables. Cependant, son exécution est parfois inégale, avec une structure qui étire ses idées au point de les rendre moins percutantes.
Si les premiers épisodes captivent par leur originalité, la série peine à maintenir cet élan sur 10 épisodes. Pour ceux qui apprécient les récits méta-narratifs et les explorations stylisées de l'identité culturelle, Interior Chinatown offre une expérience unique. Mais pour d'autres, elle risque de paraître trop cérébrale et désordonnée. En fin de compte, c'est une œuvre qui, malgré ses imperfections, mérite d'être vue, ne serait-ce que pour alimenter la conversation sur la manière dont Hollywood représente - ou mésinterprète - les histoires des minorités.
Note : 6/10. En bref, une plongée audacieuse mais inégale dans l'envers du décor hollywoodien. La série mérite d'être vue malgré ses imperfections.
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