Ernest Renan (1823 - 1892) est bien connu comme l'historien brillant de la IIIème République et grand défenseur de la laïcité, mais il fut aussi une âme profonde, toujours en quête de l'essence des choses, et en premier lieu de celle du peuple français comme de sa Bretagne natale. C'est dans cette optique qu'il faut comprendre La poésie des races celtiques, « une œuvre de résistance et d'affirmation identitaire » (C. Fourgeaud-Laville, préface), récemment réédité par L'Archange Minotaure.
Un essai concis et dense, qui rend à la littérature de tradition celtique la place qui lui revient dans la civilisation européenne. Laissons parler le maître : « On ne réfléchit pas assez à ce qu'a d'étrange ce fait d'une antique race continuant jusqu'à nos jours et presque sous nos yeux sa vie dans quelques îles et presqu'îles perdues de l'Occident, de plus en plus distraite, il est vrai, par des bruits du dehors, mais fidèle encore à sa langue, à ses souvenirs, à ses mœurs et à son esprit. On oublie surtout que ce petit peuple, resserré maintenant aux confins du monde, au milieu des rochers et des montagnes où ses ennemis n'ont pu le forcer, est en possession d'une littérature qui a exercé au moyen âge une immense influence, changé le tour de l'imagination européenne et imposé ses motifs poétiques à presque toute la chrétienté. Il ne faudrait pourtant qu'ouvrir les monuments authentiques du génie gallois pour convaincre que la race qui les a créés a eu sa manière originale de sentir et de penser, que nulle part l'éternelle illusion ne se para de plus séduisantes couleurs, et que, dans le grand concert de l'espèce humaine, aucune famille n'égala celle-ci pour les sons pénétrants qui vont au cœur.
Hélas ! elle est aussi condamnée à disparaître, cette émeraude des mers du couchant ! Arthur ne reviendra pas de son île enchantée, et saint Patrice avait raison de dire à Ossian : « Les héros que tu pleures sont morts ; peuvent-ils renaître ? ». Il est temps de noter, avant qu'ils passent, les tons divins expirant ainsi à l'horizon devant le tumulte croissant de l'uniforme civilisation. Quand la critique ne servirait qu'à recueillir ces échos lointains et à rendre une voix aux races qui ne sont plus, ne serait-ce pas assez pour l'absoudre du reproche qu'on lui adresse trop souvent et sans raison de n'être que négative ? De bons ouvrages facilitent aujourd'hui la tâche de celui qui entreprend l'étude de ces curieuses littératures. »
A. P.