Sur la dalle (et sur ma faim)

Par Ellettres @Ellettres

Je crois que je n’ai jamais aussi peu aimé – pour ne pas dire, franchement détesté – un livre de Fred Vargas. Je n’aime pas dézinguer un bouquin, mais là j’ai ressenti de la colère devant ce qui ressemble à une rente de situation : on prend les mêmes, les habituels membres de la brigade dirigée par l’éternel commissaire Adamsberg, les mêmes ingrédients, comme par exemple l’appétence de l’autrice pour les superstitions anciennes, et on recommence.

Sauf que là, ça ne prend pas. Adamsberg bien-sûr va hésiter sur des mots et « pelleter des nuages », cette fois sur un dolmen puisqu’on est en Bretagne (ça sera la seule fonction de la « dalle » du titre) ; Retancourt va remplir son office d’armoire à glace patentée ; Mercadet va magiquement sortir de son chapeau (son ordi) toutes les infos demandées entre deux siestes… mais on n’y croit plus, les personnages n’ont plus aucune vie. On dirait juste un spectacle de marionnettes, dans lequel chacun joue un rôle obligé qu’une intelligence artificielle aurait pu pré-écrire.

Quant aux nouveaux personnages, c’est pire, plus caricaturaux tu meurs. Déjà, comme nous nous trouvons près de Combourg (berceau de l’écrivain Chateaubriand, à deux pas de Rennes), donc en Bretagne, tous les habitants ont à 100% des noms et des prénoms bretons. On a droit à un véritable almanach, avec des Yvig et des Nolwenn, des Le Guillou et Le Cleac’h à n’en plus finir, comme s’il n’y avait aucune diversité en Bretagne au XXIe siècle. La proximité de Combourg donne l’occasion à l’autrice de faire un détour par l’histoire littéraire, à travers un supposé descendant et sosie parfait de Chateaubriand, ce qui est peut-être la trouvaille la plus inspirée et prometteuse du début de l’histoire. Las ! Le personnage de Josselin de Chateaubriand ne tient pas ses promesses et perd complètement de sa saveur au deuxième tiers du livre.

À propos d’intrigue, parlons-en ! J’étais habituée aux intrigues décousues de Fred Vargas et me plaisais à m’y perdre, trouvant dans leurs méandres motif à rêverie, à l’instar de son célèbre commissaire. Mais là : rien. On a des petits bouts d’histoire scotchés les uns aux autres sans pratiquement aucun fil directeur les reliant. Ici, une vague histoire de revenant boiteux clopinant dans les ruelles à la nuit tombée. Là une vague vendetta délirante opposant « ombristes » et « ombreux » qui fournit l’occasion de tacler à bon compte l’escroquerie de la pseudo-science et le mode de pensée complotiste. Mais sans que ces historiettes croquignolesques ne soient mises au service de l’intrigue principale.

Et enfin, les deux derniers tiers du livre se concentrent sur une intrigue complètement bidon et pas crédible pour un sou sur une « bande criminelle » opérant dans la région. Aucun intérêt. N’est pas Raymond Chandler qui veut. Évidemment, le piège dans ce genre de bouquin policier qui s’étire en longueur et en langueur, c’est qu’on veut quand même aller au bout, pour avoir le nom du coupable. Résolution de l’intrigue qui là encore s’est avérée décevante, pauvre de moi 😂

J’arrête les frais. Au terme de cette critique qui paraîtra peut-être très acide à certains, je souhaiterais dire combien j’admire l’œuvre de Fred Vargas, cet alliage unique entre le style policier et un genre presque ethnologique, semé d’emprunts à l’histoire où les policiers puisent souvent la solution à leurs enquêtes. C’est justement parce que je suis fan que cette lecture m’a d’autant plus déçue. Je ne sais pas trop s’il faut prendre ce titre comme une erreur de parcours, ou comme le signe que la série s’essouffle, après près de 30 ans de bons et loyaux services littéraires… S’il faut la lire, (re)lisez plutôt avec profit « L’homme aux cercles bleus », « Pars vite et reviens tard » ou « Temps glaciaires« , plutôt que ce dernier opus, qui moi m’a laissée sur ma faim (ou plutôt « sur ma dalle » 😜)

« Sur la dalle » de Fred Vargas, Flammarion, 2023, 509 p.

éé