C’est en découvrant l’implication de Clarice Starling (interprétée par Jodie Foster) dans Le silence des agneaux réalisé à partir du roman de Thomas Harris en 1988 (p. 42) que cette femme a eu la vocation de devenir profileuse.
Puisqu’il ne s’agit pas de trouver un tueur par intuition en se basant sur des impressions, mais après une analyse pointue de ses motivations Marie-Laure Brunel entreprend des études de droit et se spécialise en enquêtes criminelles et criminologie. La profession n’existait pas en France et elle était prête à passer par la case Gendarmerie pour l’exercer. Et on verra au fil des pages combien elle apprécie ses collègues, à une exception près, un supérieur macho dont elle réussira à se débarrasser, … sans avoir recours à la force.
Le parcours de Marie-Laure Brunel est totalement atypique et on comprend qu’elle ait fasciné Valérie Péronnet, venue l’interviewer pour Psychologies Magazine. Née en 1964 à Dakar, cette journaliste indépendante travaille régulièrement pour cette revue et a été nègre pour une trentaine de récits, essais et témoignages. Son premier roman, Jeanne et Marguerite, paru aux éditions Calmann-Lévy en 2011, a été adapté au théâtre avec succès en 2013.Dans le portrait qu’elle a fait d’elle, Valérie réussissait à lui faire dire des choses inédites sans la trahir, ce qui a instauré la confiance. Elles se sont rejointes sur leur attention extrême au moindre détail, même si leurs cadres de travail sont différents.Etant également autobiographe, Valérie a l’habitude de prêter sa plume à des gens qui racontent leur vie. Si celle de l’officière en gendarmerie était tentante à raconter il y avait le barrage du secret professionnel. D’où l’idée de créer un personnage inspiré de cette femme hors-normes qui écrit au directeur de la gendarmerie, sans se rendre compte que ce n’est pas comme ça qu'on fait, en lui proposant son projet et qui est finalement embauchée.Voilà pourquoi est née Mina Lacan jamais cynique, ni désabusée, davantage au service des vivants que désireuse de sanctionner les coupables, bien loin de l’image qu’on a de la profileuse qui, dans les séries est totalement allumée ou alcoolique. Si le tempérament de Mina est bien le sien il est évident que, dans la vraie vie, Marie-Laure n’a pas de sœur jumelle. Peut-être a-t-elle malgré tout une passion incommensurable pour toutes sortes de thé, à l’instar d’Amélie Nothomb bien connue pour aimer le champagne.Les références ne laissent aucune place au doute. Je vérifierai en goûtant l’Empress Grey de Marks & Spencer dont elle dit le plus grand bien, à moins de me laisser tenter par ces deux spécialités de Mariage frères, le Blue Valentine, qui associe des parfums fleuris à des accents zestés d’agrumes, ou encore le Chandernagor, un thé noir enrichi d'épices parmi lesquels on reconnaît clou de girofle, cannelle, gingembre, cardamome et poivre. Pour ce qui est du très segmentant Lapsong Souchong (un thé noir fumé) je l’utilise personnellement pour parfumer une huile dans laquelle je fais mariner des coquilles Saint-Jacques. Plusieurs détails montrent une gendarme gourmande, généreuse à donner ses bonnes adresses comme Chez Marianne pour les amateurs de falafels, même si le restaurant ne se situe pas exactement rue des Rosiers (j’ai vérifié et cela m’est facile parce que je me souviens de la peinture murale du tigre sur la façade adjacente) mais tout près, à l’angle, au 2 rue des Hospitalières Saint-Gervais.
Tout cela est bel et bien passionnant. A tel point que vous avez peut-être vu l’une ou l’autre dans une émission populaire ou dans une librairie (ci dessous Marie-Laure Brunel, à gauche, et Valérie Péronnet en dédicace).
Mais son atout majeur c’est l’usage de la moulinette de son cerveau. On devine qu’elle a fait sienne la devise de Boileau : sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : polissez-le sens cesse et le repolissez ; ajoutez quelque fois, et souvent effacez.Pour se changer les idées, elle aime crapahuter dans Paris (p. 177) et pour se détendre, car il faut bien trouver le moyen d’évacuer le stress, elle enfile les perles de bijoux qu’elle créés avec force strass et paillettes avec la même détermination qu’elle mène ses investigations (p. 211). L’intérêt avec la broderie, c’est qu’on ne voit pas le temps passer. Les idées se répètent en place, petit à petit, pendant qu’on est en train d’enfiler des perles sans s’en préoccuper. Quelqu’un qui m’observerait de l’extérieur penserait que je suis en plein loisir créatif, mais en fait non : je suis en pleine infusion du dossier Courchon (p. 211).S'agissant de leur mode opératoire les deux complices assument la co-écriture. L'une raconte, l'autre écrit mais c'est ensemble qu'elles ont auparavant échafaudé la trame de l’enquête en la rendant méconnaissable aux yeux des gens impliqués tout en restant réaliste. Marie-Laure relit chaque ligne qu'elle valide … ou pas.
Cette lecture, à l’instar duSilence des agneaux pour l’auteure, déclenchera peut-être une vocation chez vous. Une petite bibliographie est donnée indirectement pour vous permettre de tester vos motivations à bosser dans le crime, côté enquêteurs (p. 231). Attendez peut-être d’avoir lu la suite pour vous lancer …Pour ma part je retiens la mise en garde de la lieutenante-colonelle qui insiste sur le fait que la plupart des individus qu’elle a contribué à faire avouer, avec son équipe, sont des gens quasiment normaux : Tout peut se passer tout le temps n’importe où
Avant que ça commence de Marie-Laure Brunel et Valérie Péronnet chez Hachette Fiction, collection Black Lab, en librairie depuis le 3 mai 2023En collection J’ai lu en mars 2024La photo qui n’est pas logotypée A bride abattue est de © Sirpa gendarmerie - BRI (R) B. Louvet