Lire c'est choisir d'habiter un(e) autre. C'est explorer l'univers d'autrui. C'est s'ouvrir sur un monde nouveau, un nouveau modèle de pensées, de réfléxions. C'est s'humaniser de l'intérieur. C'est voyager à très peu de frais, accepter de nouvelles idées, confronter ses propres idées, investir des corridors mentaux, découvrir, s'ouvrir les sens. C'est comprendre et voir autrement et accepter d'apprendre à respirer sur le rythme d'un(e) autre.
Et respirer, c'est vivre.ALL THE KING'S MEN de ROBERT PENN WARREN.
Huey P. Long, démocrate sudiste, a été gouverneur de la Louisiane de 1928 à 1932, puis sénateur de la Lousiane de 1932 à 1935. Il s'opposait au New Deal de Roosevelt qui a sauvé les États-Unis de la Grande Noirceur. Le jugeant trop proche de la haute finance (de "l'élite") il se faisait la voix des pauvres. Il était largement considéré comme populiste, lorgnant vers l'autoritarisme, la corruption et surtout la démagogie simpliste. Au printemps 1935, il annonce qu'il sera candidat présidentiel à l'investiture démocrate.
Le 8 septembre 1935, Carl Weiss, gendre d'un adversaire politique de Long, s'approche de lui, revolver en main, et lui tire une balle au torse dans un corridor de palais de justice. Ses gardes du corps abattent mortellement Weiss. Long décède deux jours plus tard de ses saignements intérieurs. C'est de cet incident que s'inspire l'écrivain sudiste Robert Penn Warren pour écrire son chef d'oeuvre racontant un populiste gouverneur charismatique (Willie Stark) et ses machiavéliques manipulations politique durant le Grande Dépression, dans le Sud des États-Unis. Le titre est une référence à la comptine de 4 lignes d'Humpty Dumpty qui va comme suit:"Humpty Dumpty sat on a wall, Humpty Dumpty had a great fall, All the king's horses and all the king's men, Couldn't put Humpty together again". La référence à Humpty Dumpty n'est pas gratuite car chaque personnage présenté aura une chute en quelque sorte.
L'histoire est racontée par le reporter politique (fictif) Jack Burden, bras droit de Willie Stark. Les histoires de ce reporter et celles de Stark reflètent pratiquement un même homme. Le livre est une évolution de la pièce de théâtre Proud Flesh de Warren, qu'il avait mise sur pied 10 ans avant, et dont le personnage principal portait le nom de William Talos. Le nom a été changé pour Stark, mais gardé pour le personnage de son patron, Willie Talos. Étrangement, Warren a toujours dit que son récit n'avait jamais eu pour but d'avoir une saveur politique. Il gagnera le prix Pulitzer pour ce roman. Dans les années 30, les gens semblent laisser tomber tout sens des responsabilités en admirant des messie comme Willie Stark, qui ne considèrent pas pleinement la portée ou les conséquences de ce qu'ils avancent. Le journaliste n'arrive pas à se rendre au lit avec Anne Stanton, fille de gouverneur important de l'État et amie d'enfance de Jack. Willie, en revanche, arrive à la charmer jusqu'au lit. Quand le journaliste réalise que chaque grand homme doit un jour "tressaillir", faire une sorte de secousse sismique, il est atteint d'un grand nihilisme. Il sent que tous les mots utilisés quotidiennement ne sont que tressaillement nerveux comme la cuisse d'une grenouille une fois électrocutée. En voiture, ramenant un homme âgé avec lui, Jack s'aperçoit que celui-ci à un tressaillement involontaire nerveux sous un de ses yeux. Que la vie n'est peut-être que caillot de sang latent ou un tressaillement nerveux sur les corps errants. Que Dieu n'a rien à voir avec les morts qui surviendront autour de lui. Que peu importe les paradigmes, on est tous condamnés à une certaine agonie de la volonté à des moments variés dans nos vies. Constats de 1949. Le livre verse dans l'existentialisme. Sera adapté sur scène, au théâtre, en opéra et au cinéma, au moins deux fois. Dont une de ses fois où il gagne 3 Oscars dont celui du meilleur film. Un film gardé à la Librairie du Congrès des États-Unis tellement il reflète une époque précise de l'histoire du pays et est culturellement pertinent.Toujours pertinent.
Avec le prochain messianique promis tyran.
Vous savez je parles de quel brigand.
Le fasciste latent.