C'est pas moi // De Leos Carax. Avec Leos Carax, Denis Lavant et Ekaterina Yuspina.
Leos Carax, cinéaste à la filmographie singulière et marquée par des œuvres mémorables comme Les Amants du Pont-Neuf ou Mauvais Sang, a dévoilé son nouveau moyen-métrage, C'est pas moi. D'une durée de 40 minutes, cette création suscite un mélange d'incompréhension, de déception et de perplexité. Si certains verront dans ce projet une expérimentation audacieuse, il m'apparaît davantage comme un exercice vaniteux et dispersé, manquant cruellement d'inspiration et de clarté. Ce qui frappe dès les premières images de C'est pas moi, c'est l'omniprésence de l'ombre de Jean-Luc Godard. Le cinéaste franco-suisse, figure majeure de la Nouvelle Vague, semble être la muse et le poids qui étouffe cette œuvre. Carax reprend des éléments visuels et narratifs qui rappellent fortement Histoire(s) du cinéma de Godard, mais sans parvenir à leur insuffler un souffle nouveau.
Pour une exposition qui n'a finalement pas eu lieu, le musée Pompidou avait demandé au cinéaste de répondre en images à la question : Où en êtes vous, Leos Carax ? Il tente une réponse, pleine d'interrogations. Sur lui, son monde. Je sais pas. Mais si je savais, je répondrais que...
Le résultat ? Un collage d'images, entre extraits de ses anciens films et séquences historiques, qui peine à justifier son existence. Ce recyclage de ses propres œuvres, agrémenté de mots projetés en grands caractères à l'écran, donne l'impression que Carax tourne en rond. Non content de réemployer des séquences mémorables de son passé, il semble vouloir rejouer une course iconique de Mauvais Sang à travers une poupée d' Annette. Si l'intention peut paraître ludique sur le papier, elle dégage à l'écran un sentiment de nostalgie stérile et de répétition. Au-delà de ses inspirations cinéphiles et personnelles, C'est pas moi s'aventure sur le terrain glissant de la critique politique et historique. Carax alterne des images de dictateurs et des séquences intimistes, notamment celles de sa propre fille filmée au téléphone. Mais cet enchaînement, qui pourrait être percutant entre des mains plus assurées, se noie dans une forme d'approximation et de prétention.
Le discours devient lourd, appuyé, presque pompeux. Par exemple, le parallèle entre des figures historiques sombres et des scènes intimes semble manquer de cohérence, de nuance, et surtout d'un véritable message. On a l'impression que Carax veut trop en dire, sans vraiment savoir comment articuler ses idées. Cela rend le film confus et maladroit, presque didactique par moments, alors même que sa durée brève aurait pu imposer une concision salvatrice. Au cœur de C'est pas moi, on retrouve l'obsession de Carax pour lui-même. Ce moyen-métrage ressemble moins à une œuvre destinée au public qu'à une réflexion personnelle projetée sur grand écran. Les calembours un peu datés, les références culturelles comme celles à Chaplin, Hitchcock ou David Bowie, et même l'esthétique globale du film semblent parler à un cercle restreint : celui des fans inconditionnels de Carax.
Cette approche hyper-personnelle ne serait pas problématique si elle s'accompagnait d'une véritable générosité artistique. Mais ici, l'autocentrage vire au narcissisme. Carax se regarde dans un miroir déformant, explorant son passé et ses obsessions sans véritable effort pour inclure ou émouvoir son spectateur; Cela dit, il serait injuste de nier que C'est pas moi contient des éléments visuellement intéressants. La bande-son, soigneusement choisie, accompagne bien les images et ajoute une profondeur émotionnelle que le scénario peine à transmettre. Le montage, rythmé et nerveux, empêche l'ennui total, même si le spectateur peut se sentir agacé par l'absence de fil conducteur. Mais ces qualités ne suffisent pas à rattraper les faiblesses fondamentales du film. En définitive, cette œuvre ressemble davantage à un carnet de brouillon qu'à un projet abouti.
Si Carax voulait expérimenter, il aurait peut-être dû garder ce moyen-métrage comme un travail de recherche, loin des salles de cinéma. Lorsque l'on évoque un cinéaste de la stature de Leos Carax, l'attente est légitimement élevée. Malheureusement, C'est pas moi n'est ni un hommage vibrant à ses inspirations, ni une œuvre profondément originale. Il s'agit plutôt d'une création brouillonne, qui s'égare dans des références trop évidentes et une introspection qui n'intéressera que les spectateurs les plus fidèles ou indulgents. À une époque où le cinéma peut encore nous surprendre, nous bouleverser ou nous émerveiller, il est frustrant de voir un réalisateur de ce calibre se contenter d'un exercice aussi vain. Espérons que ce détour créatif permettra à Carax de retrouver l'élan et la profondeur qui caractérisaient ses meilleures œuvres. Pour l'instant, C'est pas moi restera comme un curieux faux-pas dans une carrière qui mérite bien mieux.
Note : 2/10. En bref, un regard autocentré et déconcertant.
Sorti le 12 juin 2024 au cinéma