Présenté en séance spéciale à la Semaine de la critique 2024, La Mer au loin sortira le 12 février 2025 sur les écrans français. Il joue la carte du romanesque pour mieux transmettre le ressenti immigré tout en démontant les clichés. Un must, à voir avec le coeur !
« Les possibles terres d’accueil ne sont pas tant des villes ou des pays mais des gens. A un moment, notre identité, c’est l’ensemble des gens qu’on aime ». Saïd Hamich Benlarbi.
Disons-le tout net : La Mer au loin est un des plus beaux mélodrames de ces dernières années, qui vous arrache les larmes sans pathos ou manipulation. Il est à la fois magnifique et bouleversant, d’une impressionnante justesse. On connaît notamment Saïd Hamich Benlarbi, producteur franco-marocain passé à la réalisation, pour son premier long Retour à Bollène qui mettait déjà en scène un jeune déchiré entre ses racines maghrébines et le pays d’accueil qui n’en est pas un. Ici, nous suivons une bande d’immigrés clandestins à Marseille qui vivent de petits trafics. Ils mènent une vie marginale et festive jusqu’à se faire pincer. Nour (Ayoub Gretaa) émerge peu à peu du groupe et sa rencontre avec Serge (Grégoire Colin), un flic charismatique et imprévisible, et sa femme Noémie (Anna Mouglalis), bouleverse son existence. Ce couple improbable, à la fois ouvert et rebelle, plonge le film et son personnage, ambiance et couleurs aidant, dans le romanesque intranquille du mélodrame.
De 1990 à 2000, Nour aime, vieillit, cherche sa place et se raccroche à ses rêves. C’est effectivement une véritable saga que propose Saïd Hamich, séquencée par des intertitres, et pour le moins riche en rebondissements inattendus. Ce qui fait qu’elle est à ce point émouvante, c’est qu’avec une belle proximité et un casting impeccable, le réalisateur aime ses personnages et leur accorde toute latitude d’exprimer leur ambivalence. Il nous fait partager ce que ressent Nour dans son exil tout en évoquant l’époque et les contradictions dans lesquelles il évolue. C’est à la fois la grande et la petite histoire, le sens du temps qui passe et les énergies du présent, la complexité sans clichés des rapports entre Français et Immigrés, le tout bercé par les accents mélancoliques du raï. Cela parle d’amour, de solitude et de destin. Entre deux ancrages culturels, c’est à la fois tout proche et lointain, comme la mer qui fait frontière.
La réussite du film est dans sa simplicité. C’est assez étonnant car le scénario est plus qu’improbable, mais il accroche justement par son originalité tandis que sa quotidienneté le rend crédible. Nous sommes avec Nour, dans son intimité, dans les petits détails de la vie, à la manière de l’apprentissage dans L’Education sentimentale de Flaubert auquel le réalisateur fait volontiers référence. Nour existe beaucoup par ses rencontres, par ceux qui l’entourent, qui font le chapitrage du film. Il est à fleur de peau mais ce que disent les autres le touche. Cette perméabilité est sa force : il flotte dans des plans amples et fluides, mais se remplit des autres pour en définitive pouvoir aimer et être aimé, et donc, peu à peu, douloureusement parfois, trouver sa place. Il fait des choix, ouvre peu à peu son champ de vision, mais la vie décide aussi largement pour lui, comme dans la vraie vie. L’enjeu est dès lors de maîtriser son destin et cela prendra le temps nécessaire. Car la vie ballote davantage ceux qui sont fragiles, pour qui le chemin n’est pas socialement ou affectivement tracé, surtout quand se pose désespérément la question des papiers.
Quand il peut enfin retourner au pays, il réalise que ce qu’il a laissé est irrattrapable. La perte est amère, le fantasme s’évanouit. Il est exilé. Il comprend où vivre sa vie, malgré la dureté du pays d’accueil. Son horizon s’impose à lui et il sait l’accepter. Avec intelligence et sensibilité, le film joue sur les temporalités, au gré des ellipses. On sent le poids du temps que la musique accompagne, qui baigne l’ensemble du film. Le raï vibre d’amour ou de mal du pays, mais il imprime la vie et la fête. Il participe de la puissance et du souffle de cette fresque impressionniste qui offre, et c’est suffisamment rare dans le cinéma français pour bien le noter, une vision de l’immigration d’une belle richesse, complexe et très vivante. Ni misérabilisme ni paternalisme : tout simplement de l’humain, et ça fait du bien.
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