« Les Déraisons » d’Odile d’Oultremont

Par Etcetera

Ce roman a été choisi dans mon cercle de lecture, après la proposition d’une participante. Je n’avais jamais entendu parler de cette écrivaine belge, qui a obtenu le Prix de la Closerie des Lilas en 2018 avec ce livre-ci, son premier roman.

Note pratique sur le livre

Editeur : 10/18 ; initialement : Editions de l’Observatoire
Année de publication : 2018
Nombre de pages : 235

Note biographique sur l’écrivaine

Odile d’Oultremont est née en novembre 1974 à Bruxelles, dans une famille de la noblesse belge. Elle est scénariste pour la télévision et pour le cinéma. Réalisatrice d’un court-métrage en 2015. Romancière en 2018 pour Les Déraisons.

Quatrième de Couverture

Adrien, employé modèle, mène une vie sans surprises, réglée au millimètre. Louise, artiste peintre, traverse le quotidien en le réinventant sans cesse. Leur rencontre métamorphose leur existence. Louise emporte Adrien dans les méandres de ses fantaisies, Adrien comble Louise d’un amour infini. Mais la vie prend parfois des détours inattendus. Lorsque la santé de Louise se dégrade, forte de son imagination et accompagnée d’Adrien, son allié de toujours, elle décide de se battre. De son côté, Adrien, pour la première fois, déroge à sa routine : il quitte à l’insu de tous son travail monotone pour accompagner sa femme et tente, avec elle et par la force d’un souffle créatif puissant, de vaincre la maladie.
(Source : éditeur)

Mon Avis

L’histoire racontée par ce roman a quelques points communs avec L’Ecume des jours de Boris Vian, du moins si on s’en tient aux grandes lignes du pitch, et on peut supposer que ces ressemblances superficielles ont pu servir d’argument de vente à ces Déraisons, au cours d’interviews ou autres. Le problème, quand on se réclame d’une si glorieuse filiation, c’est qu’il faut se montrer à la hauteur de son modèle – au moins un petit peu – et c’est là que ça coince… Bref, vous ne retrouverez ici ni la merveilleuse poésie ni l’inventivité somptueuse du monde enchanté de Colin et Chloé. Et je crois que cet argument marketing n’était pas judicieux du tout, en orientant le lecteur vers une comparaison peu flatteuse pour cette autrice belge.
Ce qui m’a le plus fortement déplu dans ce livre est son écriture, sa langue. Outrancière, boursouflée, pleine d’une fausseté grimacière. Absolument rien ne sonne juste dans ce livre. Il n’y a que de très rares moments où le lecteur se sent traversé par le petit frisson d’une vérité essentielle, éprouvée et nécessaire à sa vie. L’écrivaine nous fait son grand numéro de bouffonnerie littéraire, à grand renfort de pirouettes et de singeries, mais il faudrait être bien naïf pour s’y laisser prendre. Une surabondance d’adjectifs disgracieux et employés mal à propos donne un style lourdingue.
J’ai souvent entendu dire qu’une écriture, pour être belle, devait dire beaucoup avec peu de mots. Ici, on est plutôt dans la configuration inverse.
Ce que j’ai appris grâce à ce livre ce sont les quatre différentes phases de progression d’un cancer, quand il évolue vers le pire, et à quoi ressemblent les traitements. C’était flou dans mon esprit et maintenant j’y vois plus net.
L’héroïne, Louise, est censée être bourrée d’imagination, de fantaisie et de poésie mais c’est plutôt grotesque et poussif : son imagination ne va pas beaucoup plus loin que d’ajouter du colorant dans son dentifrice matinal ou de donner des prénoms à ses bras, droite et gauche.
Est-ce que j’aurais pu être touchée par cette histoire, racontée dans un style plus gracieux, plus inspiré et plus épuré ? Peut-être. Et c’est donc dommage.
Un roman dont il serait judicieux de se dispenser !
*

L’Incipit, page 11

La pièce est magistrale. Ses murs dressés comme des remparts soutiennent une voûte suspendue à plusieurs mètres du sol, sculptée en éventail et percée d’une imposante lucarne. Par-delà, le ciel dispense sa lumière matinale, une colonie de nuages traverse lentement le tableau. Adrien ne peut s’empêcher de penser que, de là-haut, Louise doit se marrer.
Dans cette salle de justice, l’air en circulation lente a pris la couleur presque jaune des époques antérieures. Depuis la disparition de sa femme, il y a quelques mois, ici ou ailleurs, à tout moment, c’est comme si le présent était déjà ancien. En filant, Louise a emporté les pigments clairs de l’oxygène, elle s’est barrée avec le blanc. La vision d’Adrien a reculé d’un cran sur la palette Pantone. Même les murs de ce tribunal sont devenus légèrement plus foncés. Adrien observe le trône du président, une simple chaise posée derrière un imposant bureau face à l’assemblée. Dans quelques minutes, il va devoir répondre à des questions officielles, trier les mots, les peser, les modérer, les tempérer, il ignore s’il dispose encore de telles capacités dans son stock intérieur, ces dernières années, il n’a plus rien utilisé de tel.
(…)

*

Un Extrait page 56

Il démarra son discours sur l’énergie commune, bifurqua sur la fierté d’en être, ralentit un instant sur le Mérite, « celui qui vous revient à tous de consacrer vos journées à porter haut et fort le nom et la réputation d’AquaPlus tout en apportant satisfaction aux clients », il poursuivit tout droit, traita de l’efficacité des services, de l’esprit corporate, il accéléra avec la nécessité d’intégration dans le monde de demain, en mutations perpétuelles, de nouvelles technologies, d’adaptation indispensable pour tous et puis il freina net sur « la raison de votre présence ici ».
Nous y voilà.
A cet instant, le silence fut tel qu’il exhuma le bruit d’une armée frappant des bottes sur le pavé. Dans la tête de chacun des employés, on devinait hurler les talons fous, dopés d’ordres et de consignes, cognant de leur caoutchouc rigide le carrelage de la salle des événements spéciaux. Les cœurs se serrèrent de concert, des centaines d’aortes filtrèrent des litres de sang sous une pression magistrale, les estomacs tourbillonnèrent d’un coup sec comme sous l’effet d’une tornade. Même Adrien se déplaça de quelques millimètres, un petit coup à gauche, de l’air s’infiltra dans sa trachée, un soulagement, un écrasement. Pour la première fois sans doute, il se sentit identique aux autres, dans une communion de détresse inattendue. Et si j’étais de ceux que le directeur général a décidé de jeter au néant sidéral ? Cette possibilité l’effleura à peine qu’il la saisit et la propulsa sur le mur d’à côté. Elle éclata comme une pêche, la chair dégoulina, restait l’odeur sucrée de la peur, et puis plus rien. (…)

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