Les mathématiques et la momie Otzi: une histoire au poil

Publié le 31 août 2008 par Olivier Leguay

Un procédé, développé il y a quelques années par des biochimistes de l'Université de Sarre (Sarrebruck) pour identifier les duvets et les plumes, a apporté de nouvelles informations sur les conditions de vie d'Otzi, momie congelée d'un homme de l'âge de la pierre. Cette technique a en effet permis à des scientifiques de l'Institut de biochimie technique et de l'entreprise Gene-Facts d'analyser des échantillons de vêtements de cette momie de 5.300 ans. Les résultats corroborent la thèse selon laquelle Otzi aurait appartenu à une société d'agriculteurs et d'éleveurs et non à une société, culturellement plus ancienne, de chasseurs-cueilleurs.
Otzi appartenait à un groupe d'agriculteurs et d'éleveurs

Otzi a été découvert en 1991 dans un glacier alpin. Agé de 5.300 ans, cet humain a vécu à l'âge du cuivre, la dernière période du néolithique (4.400-2.200 av. J.C.). Parfaitement conservé dans la glace, Otzi, encore vêtu de l'ensemble de ses vêtements, aurait été tué dans la fleur de l'âge. Cette découverte a offert la chance unique d'étudier en détails les conditions de vie d'un homme de l'âge de la pierre dans la région alpine.
L'une des questions importantes est celle du contexte socioculturel de l'époque. Otzi était-il membre d'une société de chasseurs-cueilleurs, culturellement plus ancienne, ou vivait-il au sein d'une communauté d'agriculteurs-éleveurs, qui a fait suite aux chasseurs-cueilleurs et est considérée comme plus évoluée? Pour répondre à cette question, l'équipe de chercheurs de Sarrebruck, sous la direction du Prof. Elmar Heinzle, a étudié plusieurs échantillons de vêtements de la momie congelée. En effet, si les vêtements étaient essentiellement constitués d'espèces sauvages, ceci indiquerait qu'Otzi était un chasseur-cueilleur. Au contraire, des vêtements conçus en peau d'animaux domestiques démontreraient une appartenance à une société d'agriculteurs.

Les scientifiques ont analysé quatre échantillons de vêtements provenant du cuir recouvrant les mocassins d'Otzi, de ses bas et de son manteau. Résultat : le cuir des chaussures est constitué de peau de bovin tandis que les trois autres échantillons proviennent de mouton. Ainsi, ces tests étayent la thèse selon laquelle Otzi était membre d'une société d'agriculteurs-éleveurs.
Une méthode basée sur l'analyse chimique des protéines
L'analyse des échantillons de vêtements repose sur une méthode de chimie des protéines, développée il y a quelques années à l'Institut de biochimie technique par Dr. Klaus Hollemeyer, sous la direction du Prof. Heinzle et en collaboration avec Wolfgang Altmeyer de l'entreprise Gene-Facts. En janvier 2007, cette dernière avait attiré l'attention en permettant de dévoiler un scandale concernant des fourrures aux Etats-Unis. En effet, de vraies fourrures de chien viverrin avaient été déclarées comme des fourrures artificielles. La méthode, initialement conçue pour identifier les plumes et le duvet pour des contrôles de qualité dans l'industrie de la literie, s'est vite révélée adaptée pour déterminer l'origine animale de poils ou de morceaux de fourrure. Ceci est également possible quand les fourrures ont été tannées voire teintées. Les chercheurs ont alors constitué des bibliothèques avec les motifs peptidiques de différents animaux de référence et mis au point les critères mathématiques d'analyse correspondants.
L'analyse consiste à faire digérer un petit échantillon de poils ou de fourrure à des enzymes. Ensuite, les peptides issus du découpage des protéines de poils sont ordonnés en fonction de leur taille moléculaire par spectrométrie de masse MALDI-TOF. Se forment ainsi des motifs de fragments typiques, qui diffèrent d'une espèce à l'autre. Les motifs d'espèces inconnues sont alors comparés avec ceux d'espèces connues conservées dans les propres bibliothèques de l'Institut de Sarrebruck et les similitudes entre les motifs sont déterminées à l'aide d'algorithmes mathématiques. Des motifs identiques permettent une identification certaine. 300 échantillons d'animaux différents ont été enregistrés et permettent les comparaisons.
Le procédé, développé sous le nom de "méthode SIAM" (Species-Identification of Animals using MALDI-TOF-MS) et bénéficiant depuis l'automne 2007 d'un brevet, a réussi son test d'aptitude pour l'analyse des échantillons d'Otzi, malgré l'âge du matériau. Les autres méthodes d'analyse sont plutôt inadaptées pour les échantillons archéologiques. C'est par exemple le cas de celles qui reposent sur une analyse du matériel génétique. "Les processus de vieillissement et de dégradation de l'ADN rendent impossible une utilisation réussie des méthodes génétiques dans le cas des échantillons d'Otzi, qui datent de plus de 5.000 ans", explique Dr. Hollemeyer. Le même problème se pose pour les méthodes microscopiques et de microscopie électronique. Leur fiabilité est limitée lorsqu'il s'agit d'échantillons archéologiques dont la surface n'est, souvent, plus intacte.