Sarkozy : "prix mondial de l’homme d’Etat 2008" !
Nicolas Sarkozy va définitivement rentrer dans la cour des Grands, ce mois de septembre à New York. Une double consécration l’y attend. Nul n’est prophète en son pays, dit la Bible. Sarko l’Américain verra donc ses nombreuses vertus reconnues et saluées de l’autre côté de l’Atlantique.
On aurait pu croire à un poisson d’avril en plein mois d’août, mais non... L’information semble sérieuse : Nicolas Sarkozy va se voir décerner le "prix mondial de l’homme d’Etat 2008" par la Fondation Appel de la conscience (ACF), une puissante organisation non gouvernementale américaine.
Ce prix lui sera décerné au cours du dîner de gala annuel de l’organisation, le 23 septembre à New York. "Nicolas Sarkozy a fait preuve de détermination et persévérance dès qu’il est apparu dans l’arène internationale où il s’est attaqué aux défis politiques, sociaux et humanitaires d’aujourd’hui", explique le président et fondateur de l’ACF, le rabbin Arthur Schneier. "C’est de façon exemplaire qu’il s’est fait le champion des droits de l’Homme, de la démocratie et de la tolérance, tout comme de la défense de l’environnement. C’est un homme d’Etat de stature mondiale", a ajouté Schneier.
Nicolas Sarkozy ne fera pas le voyage à New York pour rien, puisquela veille, le 22 septembre, il recevra un "Humanitarian Award" de la Fondation Elie Wiesel. Ce prix récompense “des êtres exceptionnels qui ont consacré leur vie à combattre l’indifférence, l’intolérance et l’injustice”. Quelle revanche pour cet homme qui confiait avant son élection de 2007 à la journaliste Catherine Nay : "J’étais égoïste, dépourvu de toute humanité, inattentif aux autres, dur, brutal... Mais j’ai changé !"
Sarkozy sera honoré "pour son action humanitaire dans divers domaines, particulièrement dans les conflits internationaux et dans la mobilisation de millions de dollars pour l’Afghanistan et les pays africains." Remporter un prix humanitaire pour faire la guerre semble curieux... pour celui qui n’a pas compris qu’en Afghanistan la France ne fait pas la guerre à proprement parler, mais du "peace making" (c’est déjà beaucoup plus sympa), selon l’expression du ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner.
Des parrains exemplaires
Pour revenir à la soirée de gala du 23 septembre, qui fera de notre président l’homme d’Etat de l’année 2008, en raison de ses actions en faveur des droits de l’Homme, de la démocratie et de la tolérance, deux détails sont à relever, qui ne manquent pas de sel. D’abord, Nicolas Sarkozy sera présenté à l’assistance par l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger.
Voici, pour rappel, les actions "humanitaires" d’Henry Kissinger, telles que présentées par Christopher Hitchens dans Les Crimes de monsieur Kissinger (on peut en lire davantage ici) :
« Henry Kissinger doit-il être déféré devant le Tribunal international de La Haye pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et pour conspiration impliquant le meurtre, l’enlèvement et la torture ? Oui, répond clairement l’écrivain, journaliste et essayiste anglais, Christopher Hitchens, à travers une enquête serrée, fondée sur des documents secrets, et récemment déclassifiés par les autorités américaines. On apprend comment le Prix Nobel de la paix 1973 a cyniquement organisé les bombardements de populations civiles au Laos et au Cambodge, comment il a fait assassiner le général chilien Schneider pour tenter de barrer la route à Allende, comment il a installé le général Pinochet, comment il a soutenu secrètement la tentative d’assassinat de Mgr Makarios à Chypre, comment il a ruiné l’expérience d’un régime démocratique au Bangladesh. En fait, ce livre montre, d’une manière exceptionnelle et précise, comment un pouvoir démocratique comme celui des États-Unis peut organiser des crimes à l’échelle mondiale, et révèle également les vraies motivations d’Henry Kissinger : cynisme, argent, pouvoir... » (présentation de l’éditeur).
Seconde curiosité de ce dîner de gala "humanitaire" : il sera présidé entre autres par Serge Dassault, sénateur UMP, propriétaire du Figaro, ami de Nicolas Sarkozy, qui, le 10 juillet 2008, a mis en évidence son humanisme, dans une interview surréaliste sur i>télé, dans laquelle il qualifiait la grève de "cancer", prônait l’inderdiction des grèves politiques, et vantait le modèle chinois (à imiter en France), avec des travailleurs bossant 45 heures par semaine pour fabriquer des produits pas chers, et dormant dans leurs usines...
Le 19 juin, il stigmatisait déjà les chômeurs "fainéants" : "Le problème n’est pas seulement de trouver de l’emploi mais aussi que l’assistance et les aides diverses aux chômeurs sont trop élevées, à mon avis, pour qu’ils aient une certaine envie de travailler." (...) Prime pour l’emploi, et bientôt RSA... c’est quand même anormal de vouloir donner de l’argent de l’Etat qui n’en a pas beaucoup à des gens qui ne veulent pas travailler parce qu’on les paye trop et coûtent aussi beaucoup d’argent à l’Etat. (...) On réduirait carrément les aides aux chômeurs, ce serait quand même plus efficace si on veut les faire travailler que de vouloir donner de l’argent sur denier de l’Etat".
L’intransigeance sur les droits de l’homme
Nicolas Sarkozy sera donc honoré par deux hautes figures de l’humanisme, comme on le voit. Mais lui-même, est-il bien le "champion des droits de l’Homme, de la démocratie et de la tolérance" qu’on nous vante ?
C’est en tout cas ce qu’il avait promis d’être avant son élection. Ainsi, au cours du Congrès de l’UMP, le 14 janvier 2007, Nicolas Sarkozy déclarait : "Je ne crois pas à la "realpolitik" qui fait renoncer à ses valeurs sans gagner des contrats. Je n’accepte pas ce qui se passe en Tchétchénie, au Darfour. Je n’accepte pas le sort que l’on fait aux dissidents dans de nombreux pays. Je n’accepte pas la répression contre les journalistes que l’on veut bâillonner. Le silence est complice. Je ne veux être le complice d’aucune dictature à travers le monde".
Depuis, le président de la République a rencontré les dirigeants de la Chine, de l’Arabie Saoudite, de la Libye, de la Russie, du Gabon, de l’Algérie, de la Tunisie, sans rien avoir à redire ni sur les Droits de l’Homme, ni sur les libertés. On pourrait rajouter à la liste les Etats-Unis, dont les dirigeants ont reconnu l’usage de la torture sur certains terroristes présumés. Le plus fort que le chef de l’Etat ait fait a été de demander à la Chine de "continuer" sur la voie de l’Etat de Droit....
Le respect du peuple souverain
Ensuite, Sarkozy est-il bien le champion de la démocratie qu’on nous présente ? La seule affaire du mal nommé "mini traité" européen peut en faire douter. Rappelons l’analyse qu’avait faite à l’époque de ce débat Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’université de Rennes et auteur de droit constitutionnel, dans un texte titré Haute trahison :
"Dans la mesure où ce texte se borne en réalité à recopier sous une autre forme les trois quarts des dispositions du traité établissant une constitution pour l’Europe, il eût certainement été plus simple de reprendre le texte initial en en rayant seulement les dispositions symboliques abandonnées. On comprend cependant que cette formule ait été écartée car elle aurait manifesté de façon trop criante que l’on se moquait ouvertement de la volonté des peuples français et néerlandais. (...)
Comment le président de la République peut-il décider seul, alors que le peuple français a juridiquement rejeté l’intégralité du traité, de faire cependant ratifier par voie parlementaire la majeure partie des dispositions qu’il contenait au motif que celles-ci « n’auraient pas fait l’objet de contestations » ? (...) La démarche du président de la République prétendant interpréter seul la volonté du peuple français est totalement arbitraire et confine à la dictature. (...)
On ne peut qu’être bouleversé par le coup d’Etat ainsi perpétré en France. Si le président a la conviction que les dispositions restant dans le traité modificatif ont fait l’objet d’une approbation implicite des Français, encore faut-il qu’il s’en assure en organisant un nouveau référendum tendant à obtenir leur accord explicite. Comment qualifier et sanctionner, dès lors, un tel coup d’Etat ? Le texte de la très populaire Constitution de 1793 n’y allait pas de main morte en disposant, dans son article 27 : « Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres ».
La peine de mort étant désormais prohibée par la Constitution française il convient de s’y conformer et de se tourner plutôt vers l’article 35 du texte de 1793 qui affirmait solennellement : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, intégrée au préambule de l’actuelle Constitution, range aussi la résistance à l’oppression parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Notre texte constitutionnel affirme encore que le principe de la République est « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » et que son président est élu au suffrage universel direct pour veiller au respect de la Constitution, assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat et garantir l’indépendance nationale.
Le terme qui vient à l’esprit pour désigner le mépris présidentiel de la volonté populaire est évidemment celui de haute trahison. Malheureusement, une révision des dispositions sur la responsabilité pénale du chef de l’Etat, intervenue en février 2007, a substitué à l’antique et belle formule de haute trahison, l’expression affadie et banale de « manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat ». Cela manque singulièrement d’allure et de force mais l’on s’en contentera cependant en proposant aux parlementaires, au lieu de commettre eux-mêmes une forfaiture en autorisant la ratification d’un traité rejeté par leurs mandants, de se constituer en Haute Cour pour sanctionner le coupable. Sans insurrection ni destitution, nous n’aurons alors plus qu’à pleurer sur notre servitude volontaire en réalisant que nos élus représentent bien ce que nous sommes nous-mêmes devenus : des godillots."
Le 15 novembre 2007, le Telegraph rapportait les propos qu’avait tenus Nicolas Sarkozy lors d’une réunion à huis-clos de parlementaires européens à Strasbourg : "La France n’était qu’en avance sur les autres pays dans son vote pour le « non ». La même chose arriverait dans tous les Etats membres si un référendum y était organisé. Il y a un clivage entre les peuples et les gouvernements. Un référendum aujourd’hui mettrait l’Europe en danger. Il n’y aura pas de traité si un référendum a lieu en France, et il en va de même pour un référendum au Royaume-Uni." Autrement dit, si Sarkozy ne voulait pas de référendum, c’est parce qu’il avait la certitude que la réponse des peuples aurait été négative ; "c’est bien en quoi, analysait Olivier Bonnet, celui qui incarne la souveraineté du peuple français, en violant délibérément sa décision, se rend effectivement coupable de haute trahison."
A noter que, le 10 juillet dernier, le député européen britannique Nigel Farage mettait en cause le caractère démocrate de notre président ; dans l’enceinte du Parlement européen à Strasbourg, il avait interpellé Nicolas Sarkozy, après que celui-ci ait déclaré qu’il souhaitait faire revoter les Irlandais après leur refus du Traité de Lisbonne.
La cohérence du parcours
Rien de très neuf sous le soleil, puisque dès avant son élection à la présidence de la République, la Ligue des Droits de l’Homme nous avait mis en garde contre le personnage ; le 26 avril 2007, la LDH présentait l’édition 2007 de son "état des droits de l’Homme en France", et déplorait une "régression continuelle des libertés", en condamnant particulièrement le bilan de Nicolas Sarkozy en tant que ministre de l’Intérieur.
Le président de la Ligue, Jean-Pierre Dubois, avait qualifié la "vision du monde" de Nicolas Sarkozy d’"absolument terrifiante", parlant de "grave régression en matière de droits fondamentaux depuis cinq ans".
Il écrivait encore dans son bilan : "La politique législative de course au sécuritaire à dominante xénophobe sacrifie au report de voix d’extrême droite les droits des étrangers, l’humanité élémentaire et, au bout du compte, les libertés de tous".
Les 22 et 23 septembre prochains, à New York, Nicolas Sarkozy sera récompensé du "Humanitarian Award" de la Fondation Elie Wiesel, et du "prix mondial de l’homme d’Etat 2008" de la Fondation Appel de la conscience. Pour sa très grande humanité.
agoravox