Eureka dans la nuit

Publié le 22 novembre 2024 par Adtraviata

Quatrième de couverture :

Lorsque le détective frappe à la porte de la minuscule maison où Ellie a trouvé refuge, le moment est venu de raconter. L’amour pour May. Le départ de celle-ci, harponnée par son rêve de baleines. Loin d’Eureka, cette ville dévote, cernée de gigantesques champs de maïs.
Peu à peu se dessine une enfance, auprès d’un père rigoriste et violent, dans l’orbite des grands propriétaires de la région. Alors qu’Ellie fait tout pour partir à la poursuite de May, le chemin qu’a suivi sa mère se révèle sous ses pas, faisant surgir son fantôme.
Ellie découvre alors ce qui hante Eureka, les choses qu’on y tait, celles qu’on n’ose dire qu’à travers la Bible. Et quel fut le destin de la fragile et scandaleuse Eleanor, qui ne voulait pas se soumettre.
Dans un premier roman qui impressionne par sa maîtrise et la beauté de son écriture, Anne-Sophie Kalbfleisch suit le passage à l’âge adulte de deux jeunes êtres en quête de liberté, Ellie et May, l’énigmatique et la volcanique.

La première impression qui saisit le lecteur dans ce premier roman, c’est l’enfermement, l’étouffement. Celui d’une petite ville du fin fond des Etats-Unis, Eureka, marquée par la religiosité (il y a sept églises de sept cultes différents si je me souviens bien), la dévotion à la riche famille qui fournit de l’emploi dans la ville voisine un peu plus importante (l’hôpital Meyer), par une architecture sans imagination et par les champs de maïs, la monoculture du coin. L’étouffement aussi de deux adolescentes, Ellie et May : May, la rebelle, la blessée qui veut partir à tout prix pour aller sauver les baleines, Ellie coincée entre sa belle-mère sous emprise et son père, jugé pour avoir tué sa mère quand elle n’avait que sept ans (un crime déguisé en suicide et dénoncé par un personnage inattendu qui apparaîtra plus tard dans le roman), un père dont la phrase « préférée » est : « Je sais que tu me mens. » Ellie mettra du temps à faire la part des choses, à distinguer entre le vrai et le faux (tout est question de point de vue, n’est-ce pas ?) et pour cela, elle devra elle aussi chercher à quitter Eureka.

Quand le roman commence, les deux filles sont parties et le roman alterne entre la voix d’Ellie et celle de May, et plus tard de la fameuse témoin citée plus haut. Leur parcours initiatique, leur parcours de rédemption ou plutôt de libération est passionnant à suivre. Et il passera par… le retour à Eureka. Je dois avouer que j’ai eu du mal à m’accrocher à ce roman, à ces personnages qui me paraissaient bien peu sympathiques au début, l’ambiance était glauque et incompréhensible (de mon point de vue). Sans doute fallait-il resserrer un peu l’intrigue au début mais sur le conseil de ma libraire (avant la venue d’Anne-Sophie Kalbfleisch chez Chantelivre à Tournai), j’ai persévéré et je ne le regrette absolument pas. La jeune autrice est d’abord prof de sciences (j’aurais bien aimé avoir une prof comme elle, j’aurais sans doute mieux apprécié la physique) et elle a passé plusieurs mois aux USA durant ses études pour une expérience de vie sur Mars où elle était la seule femme chef de la mission). Elle a donc bien perçu l’atmosphère de ces petites villes américaines, elle glisse une expérience scientifique très intéressante dans son roman et transcrit très bien les émotions, l’ennui, le désespoir parfois des adolescentes d’aujourd’hui. En outre elle écrit très bien, son style est original, marquant l’impatience, l’accumulation dans certains passages sans virgules et offrant des images, comparaisons et métaphores choc dans d’autres.

Eureka dans la nuit a été repéré par la maison Le Rouergue et était finaliste du Prix Rossel remis le 13 novembre, ce qui n’est pas rien.

« Les yeux fermés, May respire. Elle a essayé. De toutes ses forces, elle a essayé. Sortir d’Eureka. Sortir de là. Ce trou noir, qui absorbe la lumière. La plus infime lueur. La broie et la détruit. Jusqu’à ce que l’obscurité soit complète, totale, et ne subsiste plus qu’un murmure : « Je ne me souviens pas… » »

« Pour comprendre ce qu’il s’est passé, il faut comprendre l’enchaînement des événements. Certains humains explosent comme des bombes atomiques. Astor n’aurait jamais eu cette réaction si je n’avais pas désobéi, et je n’aurais pas désobéi si…
J’hésite. A dire : Si May était restée.
J’inspire et je dis : Si je n’avais pas eu besoin d’argent. De beaucoup d’argent.
Et c’était aussi vrai.
Je n’avais pas menti. »

Anne-Sophie KALBFLEISCH, Eureka dans la nuit, Le Rouergue, 2024