Damien est né le 25 mars 1985 à La Rochelle. Il est le cadet et l'unique garçon d'une fratrie de 4 enfants. Protecteur avec ses sœurs, Dam's a toujours eu un rôle central au sein de la famille. " Tout n'a pas été simple durant notre enfance mais cela nous a considérablement soudés " se remémore Aurélie, sa sœur ainée. " D'ailleurs pour moi et mes sœurs nous sommes toujours 4, même si depuis son décès, c'est tout un équilibre qui s'est effondré ".
Peu scolaire, de nature rebelle et avide de liberté, Damien a rapidement quitté les bancs de l'école. Apprenti en mécanique dès l'âge de 14 ans, il n'ira pas jusqu'au terme de sa formation. " Damien c'était un écorché qui manquait de repères et avait tendance à tester les limites ", explique Aurélie. Il fera parfois de mauvais choix mais en assumera toujours les conséquences. " C'était aussi et surtout un bon vivant qui aimait faire la fête, chanter, voyager. Il avait un grand cœur et toujours beaucoup d'amis autour de lui. On a d'ailleurs été impressionnées par le nombre de personnes qui se sont déplacées pour son enterrement ".
Sans formation, le rochelais enchaîne les expériences professionnelles en intérim (soudeur, plaquiste...) et peine à trouver de la stabilité. En parallèle, il s'adonne à ses passions : le voyage, les rencontres, la musique, les jeux vidéo ou encore les animaux. Il reste aussi toujours très fusionnel avec ses 3 sœurs. " Damien n'avait pas fait d'études et cela a généré en lui un sentiment d'infériorité. Malgré son charisme, il avait dans le fond peu confiance en lui ".
Après la multiplication des missions en tant qu'intérimaire, Damien finit par signer un CDD chez un pisciniste en banlieue de La Rochelle. Le patron est une connaissance, un ancien camarade de classe avec qui il a gardé des contacts. Il lui est d'ailleurs déjà arrivé de venir lui donner des coups de main par le passé.
L'entreprise est spécialisée dans la construction, l'installation et l'entretien de piscines ou de spas. " Damien avait signé un CDD de 6 mois qui devait se transformer en CDI à la fin de l'année. Il se posait cependant de plus en plus la question de rester ou non ". En effet, les conditions de travail sur les chantiers qu'il fréquente ne lui apparaissent pas optimales notamment en ce qui concerne la sécurité. " C'était un choix difficile pour lui car d'un côté il avait la possibilité de trouver un peu de stabilité pour construire sa vie, mais ses questionnements concernant la sécurité le laissaient de plus en plus perplexe ".
Le jeudi 28 octobre 2021, Damien débute un chantier sur l'Ile de Ré. Il s'agit de la rénovation d'une piscine extérieure dans un complexe hôtelier situé sur la commune de La Flotte. " Nous nous sommes vus ce jour-là, c'était mon anniversaire, mes 40 ans. Je m'en souviens comme si c'était aujourd'hui " se remémore Aurélie. " Au cours de la soirée il m'a fait part de son appréhension. Il ne se sentait pas en sécurité sur ce chantier ".
Après un weekend de 3 jours, le rochelais débute sa troisième journée de chantier sur l'Ile de Ré. Nous sommes le 02 novembre 2021 et alors que la fin de journée approche, Damien s'attelle à sa tâche avec un collègue. Les pluies importantes des jours précédents ont rendu l'environnement de travail plus complexe contraignant notamment les ouvriers à travailler les pieds dans l'eau. Sur le coup de 16h30, Damien est chargé de sectionner un câble électrique. Celui-ci est sensé se trouver hors tension.
Pourtant lorsque l'ouvrier de 36 ans intervient il est victime d'une électrisation avec un courant de 220 volts. Une décharge d'autant plus forte que l'homme a les pieds dans l'eau. Damien se retrouve collé au câble. Un collègue intervient rapidement pour l'aider. Mais lorsqu'il se relève, l'homme peine à reprendre ses esprits. Il se met à avoir le hoquet et fait quelques instants plus tard un arrêt cardiaque. Un hélicoptère est alors dépêché sur place. Les secours doivent pratiquer des massages cardiaques à 3 reprises pour réanimer la victime.
18 jours de comaDamien est envoyé en réanimation à l'hôpital de La Rochelle où il est immédiatement mis en coma artificiel. " Le soir de l'accident, nous n'avons pas pu le voir car son état était jugé trop grave. Mais les médecins nous ont affirmé que le coma avait été provoqué pour lui permettre de mieux récupérer et que Damien étant jeune et en bonne santé il allait s'en sortir".
Pourtant, l'état de Damien ne s'améliore pas dans les jours qui suivent. Son cerveau a manqué d'oxygène pendant une trop longue période. " Au départ, on nous a annoncé qu'un massage cardiaque avait été fait sur place pendant 20 minutes avant l'arrivée des secours. Mais cette version a ensuite été mise à mal par différents témoignages et rapports médicaux ". Les dégâts provoqués par l'absence d'oxygénation du cerveau et les lésions liées à l'électrisation semblent irrémédiables. " C'était terrible, il était là devant nous, beau, fort, mais il était bloqué dans son corps. Il ne pouvait plus bouger. On le voyait pleurer, faire des crises, tenter de bouger mais il était paralysé ".
Le 20 novembre 2021, après 18 jours de coma, le décès de Damien est prononcé. " Cela a été les 18 jours les pires de sa vie et de la nôtre aussi ". L'ouvrier de 36 ans est enterré dans les jours qui suivent au cimetière St-Eloi à La Rochelle.
3 ans après le drame, l'enquête est encore en coursDès le lendemain de l'accident, l'Inspection du travail se déplace sur le chantier pour y commencer son enquête. Celle-ci doit permettre de déterminer les circonstances précises de l'accident et de relever d'éventuels manquements en matière de sécurité. De son côté, le parquet de La Rochelle a ouvert une procédure et un juge d'instruction a été nommé afin de mener les investigations. Si le rapport de l'Inspection du travail a été rendu, l'enquête est toujours en cours, au grand damne de la famille de Damien qui, 3 ans après le drame, attend encore des réponses.
" Il est impossible d'entamer notre processus de deuil tant qu'on ne sait pas précisément ce qui s'est passé " explique Aurélie. " C'est à la fois une question de justice mais aussi de mémoire ". Tout comme ses sœurs et sa mère, l'ainée de la famille a déposé une plainte avec constitution de partie civile au début de l'année 2022.
Le 17 avril 2022, une marche en hommage à Damien s'est tenue à La Rochelle. Plus d'une cinquantaine de personnes étaient présentes. " On a débuté le parcours sur le port où Damien aimait venir faire la fête dans les bars avec ses amis. Ensuite on a essayé de retracer un peu sa vie en passant par des lieux qu'il avait fréquentés avant de finir par le cimetière ".
La famille de l'ouvrier décédé était aussi présente lors du rassemblement en hommage aux morts au travail qui s'est tenue à Paris le 4 mars 2023. Celui-ci était organisée par l'association " Collectif familles stop à la mort au travail " qu'Aurélie a rejoint. Aux côtés, d'autres familles de victimes, elle se bat aujourd'hui pour briser le silence qui entoure la question des accidents mortels au travail.