L'agriculture, a se delocalise aussi. Ainsi l'Arabie Saoudite projette-t-elle de louer des terres en Indonesie pour reduire sa dependance alimentaire. Les pays emergents tentent de tirer profit de la crise alimentaire mondiale en persuadant les grands importateurs de produits agricoles de louer leurs terres cultivables. Mais cette nouvelle tendance n'est pas du gout de tous les agriculteurs, inquiets pour leur propre approvisionnement en denrees alimentaires. Dernier exemple en date : le projet du gouvernement indonesien de consacrer une zone equivalente a la superficie du Koweit, dans la lointaine province de Papouasie, a la culture du riz, de la canne a sucre et du soja. Ses promoteurs ont rencontre des investisseurs saoudiens pour leur proposer de recuperer une partie des recoltes moyennant plusieurs centaines de millions de dollars. Ce genre d'operation comporte de serieux risques. Des pays comme l'Indonesie ont connu cette annee des emeutes provoquees par l'envolee des prix alimentaires. L'idee d'attirer les investissements en echange de produits politiquement sensibles comme le riz pourrait attiser le mecontentement populaire : le gouvernement serait accuse de favoriser les pays riches au detriment du marche interieur. Les Saoudiens sont conscients du probleme. Pour Khalid Zainy, un homme d'affaires qui participe aux efforts de son pays en vue de trouver des investissements a finalite agricole, les accords avec les gouvernements etrangers reserveront une partie des recoltes au marche local. "Cela pour eviter toute interruption du programme et tout probleme cause par les gouvernements comme par la population", explique-t-il. De nombreux contrats de ce type verront certainement le jour dans les prochaines annees. Des investisseurs originaires de Chine, pays qui importe d'enormes quantites de soja et d'huile de palme brute, achetent deja des terres agricoles en Afrique et en Asie du Sud-Est. De son cote, la Coree du Sud envisage d'investir dans un projet de 270 000 hectares dans l'est de la Mongolie. Avec la flambee des prix mondiaux, la facture des importations alimentaires de l'Arabie Saoudite a augmente en moyenne de 19 % par an ces quatre dernieres annees, pour atteindre 12 milliards de dollars en 2007, ce qui fait du royaume le premier importateur de produits alimentaires au Moyen-Orient, selon une etude recente de la banque saoudienne SABB. Les autorites de ce pays s'efforcent de mettre sur pied un outil d'investissement qui reposerait sur un partenariat public-prive et serait charge de trouver des projets agricoles dans des pays disposant de vastes etendues de terres fertiles. Des investisseurs saoudiens procedent egalement a des investigations aux Philippines, au Senegal et au Soudan des pays ou la hausse des prix alimentaires a justement cree des troubles. L'Indonesie doit desormais importer du riz Meme si l'Indonesie et d'autres Etats parviennent a trouver une solution equilibree, il faudra des annees et des investissements tres lourds avant que les projets envisages dans des zones isolees comme la Papouasie ne portent leurs fruits. Cette province, qui occupe la moitie occidentale de l'ile de Nouvelle-Guinee, est d'une taille comparable a celle de la Californie [420 000 km2] mais ne compte que 2,5 millions d'habitants. C'est l'une des plus pauvres d'Indonesie, et l'absence de routes oblige a s'y deplacer principalement par avion ou par bateau. L'annee derniere, le gouvernement local de Merauke, un departement situe sur la cote meridionale de la Papouasie, a imagine de faire de cette region marecageuse, dont la population est tres clairsemee, un centre de production alimentaire. Depuis quelques annees, l'Indonesie est importatrice nette de riz, en raison du manque d'investissements et de l'urbanisation galopante de Java, l'ile principale, qui a cannibalise les terres agricoles. Les autorites de Merauke esperent pouvoir combler le deficit. Il y a quelques mois, alors que les prix alimentaires augmentaient, MEDCO, un conglomerat indonesien present dans les secteurs du gaz et du petrole, a propose de soutenir financierement le projet, de construire des usines d'ethanol et d'aider a trouver des investisseurs etrangers. En avril, les dirigeants du groupe ont defendu cette idee lors d'une rencontre avec le president indonesien, Susilo Bambang Yudhoyono. MEDCO a propose que le gouvernement central, qui a le dernier mot en matiere d'utilisation des terres, alloue a la production de canne a sucre, de sorgho doux, de riz, de soja et de mais au moins 1 million d'hectares a Merauke. Les autorites de Merauke, elles, aimeraient aller jusqu'a 1,6 million d'hectares. Les deux tiers des recoltes seraient destines a la production d'ethanol, et le reste consacre a l'alimentation. www.courrierinternational.com - Photo Philippe FOUCHARD 2008