Le problème qui se pose pour l’acquéreur est de ne pas atteindre la taille critique de 1000 individus. Au delà, une entreprise est, en effet, astreinte à des obligations sociales beaucoup plus contraignantes en cas de plans sociaux. Comment faut il s’y prendre pour se dédouaner du code du travail ? La démarche est simple : Je vous donne l’exemple d’une société à effectif 950 personnes qui vient d’être rachetée par une multinationale (il s’agit bien sur d’un exemple théorique… toute similitude ou ressemblance avec des faits bla bla bla….)
Etape n°1 : Vous découpez toute l’entreprise en petites sociétés qui se vendent des prestations l’une à l’autre : jusque là rien à dire pourquoi pas ! Faut bien un peu d’innovation !… On cherche des pistes de progrès… L’idée sous jacente, et sans être parano, est bien de diviser l’entreprise pour limiter l’impact des mouvements sociaux à venir ; la solidarité entre salariés n’étant pas la valeur la mieux partagée dans une même entreprise on imagine facilement qu’elle le soit encore moins pour 2 sociétés différentes…
La 2eme étape est de regrouper ces entreprises dans une holding (installée dans un pays étranger : Hollande par exemple…). Cette holding à effectif zéro (oui ça peut exister) est possédée en noms propres et immatriculée à Chypre (Ben voyons ! Nos actionnaires aiment le soleil : c’est leur choix…). Le problème est qu’avec l’opacité du système chypriote il vous est impossible de retrouver le nom des personnes possédant la holding et de faire le lien avec la multinationale acquéreuse et vous faire passer le seuil des 1000 personnes… Et c’est gagné !… On peut attaquer les réjouissances du 1er plan social… Tout cela est parfaitement légal.
Cette pratique est assez courante dans les rachats d’entreprise. Quel sentiment les salariés de cette société peuvent ils tirer d’une telle expérience? Le rapport de force semble bien disproportionné. Ressources Humaines vous disiez ? Mais où est passée la DRH ?… Dur Dur !
Alors oui, dans un tel contexte managérial, vous prenez vite conscience que l’humain est un facteur externe à l’entreprise (comme l’est un fournisseur quelconque) et qu’il ne faudra pas attendre trop d’humanité aux comportements de celui qui dirige ce service RH. Cynisme des RH qui aboutit au cynisme des salariés pour l’entreprise. Le travail est devenu une marchandise et on comprend que le zapping professionnel de certains salariés (qui peuvent se le permettre (situation familiale, zone géographique etc…)) soit devenu comme une seconde nature. Il y a de moins en moins de lien social dans l’entreprise et de sentiments d’appartenance à une expérience commune. On prend ce qu’il y a à prendre et on s’en va avant de se faire jeter… On zappe.
L’exigence de résultat sans délai conduit à des aberrations managériales où une personne n’a pas le temps matériel de faire le tour d’un sujet qu’elle est déjà sortie du système. Que voulez vous attendre des salariés dans de telles conditions de travail ?…
Comme jeune chef de produits, je me souviens d’une situation qui m’avait beaucoup fait sourire. Le bureau du Directeur commercial marketing était juste en face du mien et ns avions vu se succéder 2 directeurs en seulement 6 mois d’intervalle… Avant l’arrivée du 3eme élu l’un des chefs de produits assez bon dessinateur avait eu cette idée macabre de dessiner 3 cercueils sur la porte de son bureau : 2 cercueils étaient fermés avec le nom des défunts prédécesseurs et le 3éme avec le couvercle encore en appui sur la caisse avait le commentaire suivant : « Who is the next ?… ». A son arrivée ce nouveau directeur qui avait beaucoup d’humour prit la plaisanterie du bon coté et classa ce dessin. 3 mois plus tard son affaire était faite, il fallait passer à un autre. Alors avec intelligence et avant de partir il prit soin de reprendre le fameux dessin et de fermer le couvercle du 3eme cercueil en y apposant son nom… En voilà un de plus qui aurait du zapper plus vite : quelle erreur !
Dans de tels contextes managériaux on comprend que les rapports se tendent, que les conflits se multiplient, que les rapports humains dans l'entreprise perdent toute authenticité. On va donc apprendre son rôle (comme on apprend le rôle d’un personnage dont l’histoire est déjà écrite). Chacun se méfiiant de l’autre, élabore des stratagèmes pour se positionner, ouvre des chausse-trappes aux chers collègues (…). La seule et ultime perspective qui reste aux salariés est de survivre.
Survivre dans ce monde où on vous demande tout : votre compétence, votre disponibilité, votre créativité, votre capacité d’initiative, votre flexibilité, votre rigueur, votre âme peut être … Tout cela pour quelles contre-parties ? Je les cherche encore…
Le malaise des cadres est presque palpable dans certaines entreprises. Je parle des cadres de management intermédiaires que je connais très bien. Malaise qui aboutit à une démobilisation générale : ce que Bouvard et Heuzé appellent : « la déresponsabilisation » et « l’incompétence partagée ». Comment pourrait il en être autrement ?