Une jeune femme ayant récemment accouché est condamnée à une "thérapie du repos" par son mari John dans une chambre au papier peint jaune d'une grande maison coloniale de l’Est américain, et se retrouve peu à peu en proie à de multiples hallucinations.Qu'il s'agisse d'une pépite est une évidence avec la formidable incarnation de Marie Kauffmann, qui le soir de la première, a fait face à plusieurs aléas avec sang-froid. Ce fut d'abord le malaise d'une spectatrice puis plus tard une salve de tirs qu'on pensait appartenir à la bande-son tant ils résonnaient à un moment clé.
Quelque chose, et c'est infiniment subtil, nous laisse entendre dès le début que le discours de la jeune femme est sincère mais sonne faux. Je veux dire que le spectateur n'est pas dupe. Le mari n'a pas enfermé Jane "pour son bien". Le doute n'est permis que sur les motivations du conjoint qui, parce qu'il est médecin, s'arroge le droit de décider ce qui est bon pour sa femme, et s'emploie à l'en persuader, sans y parvenir tout à fait. Il suffit de l'entendre nous confier que John est médecin et que c'est peut-être pour cette raison que je ne guéris pas plus vite.
Il est plausible que la jeune mère ait développé une dépression post-partum. Ce récit est d'ailleurs largement autobiographique et comme Virginia Woolf ou Edith Wharton, l'auteure a été contrainte à une "cure de repos" prescrite par un médecin, et qui la plongea dans les parages de la folie. La publication du Papier peint jaune amènera -et on s'en réjouit- le corps médical à remettre en cause ce type de soins.L'enfermement ne gommera pas le baby-blues de Jane. On l'a compris avec la crise sanitaire de 2020. Un confinement cristallise les tensions. L'isolement, qui a été annoncé pour ne durer que trois mois mais dont on ne voit pas la fin, va légitimement "taper sur les nerfs" de la narratrice, cramponnée à son fauteuil, figée dans une posture de défense pendant la première partie.Qui résisterait à n'avoir le droit de ne rien faire, en étant écartée de son enfant, privée de toute visite (sauf celle d'une belle-soeur inquiétante) et interdite d'écrire alors que c'est la seule chose qui peut la soulager, ce qu'elle fera en cachette … impossible de procéder autrement.La description de la pièce vaste, aérée et ensoleillée, mais avec des barreaux aux fenêtres et un lit horrible a de quoi miner le moral de la plus optimiste d'entre nous. Et ce papier peint orné de grands motifs jaunes devient le seul endroit où il est possible (et autorisé) de rêver un peu. De là à s'évader il n'y a qu'un pas. A condition de quitter la posture dans laquelle le personnage s'est rigidifié.Ce qui est très réussi c'est de permettre au spectateur de se laisser porter par le mystère en lui laissant imaginer le motif du papier peint. Voilà pourquoi la chambre est un lieu symbolique, bordée de deux murs de rideaux blancs sur lesquels la lumière créera des ambiances. Des cierges ceinturent le sol, jaune curcuma intense, dont on est persuadé qu'il est composé de sable coloré. Quelle surprise quand il change brutalement de teinte ! Le travail de Mathilde Chamoux est magique.Côté costumes Anaïs Heureux a coupé une tenue évoquant l'habit de lumières que porte le torero sur une chemise blanche à jabot, et suggère la détermination de la patiente, pour le moment immobile au centre de l'arène, à l'exception de sa tête qui est le seul organe à bouger. Vous comprenez ? Je ne baisse pas la garde.Nous non plus. Nous devenons attentifs au moindre signe, qu'il s'agisse d'un cri de grenouille, d'un mot, d'un changement de ton du sable. L'emprise masculine est présente sous nos yeux et la folie devient le moyen d'entrer en résistance et de parvenir à gagner la libération par le fantastique. A condition de savoir décrypter ce qui se cache derrière le jaune du papier peint comme nous le suggère en voix off la traductrice Dorothée Zumstein dans les dernières secondes du spectacle.Je ne peux me résoudre à ne pas pointer que le nom de la compagnie créée en 2018 par Alix Riemer s'appelle la Compagnie Paper Doll avec laquelle elle a conçu son premier spectacle d'après les journaux de Susan Sontag. Le rapprochement s'imposait … avec cette troisième mise en scène.
Pour terminer je préciserai que Charlotte Perkins Gilman (1860 -1935) née à Hartford, dans le Connecticut, a connu une enfance difficile. Le Papier peint jaune a suivi une période de crise après son premier mariage et la naissance de sa fille. Sa publication lui redonna la force d’écrire, d’enseigner, de voyager sans jamais cesser de militer à travers les États-Unis et l’Europe, pour le socialisme et les droits des femmes et de dénoncer une médecine masculine incompétente cherchant à hystéries les corps des femmes.
L'affiche du spectacle est L’œil du python, Courtesy d’Anne-Charlotte Finel et de la galerie Jousse Entreprise © Adagp, Paris, 2020