La nouvelle production de La Sylphidepar le Ballet d'État de Bavière est très attendue par le public munichois. Le Ballet a privilégié la reconstitution de la version de Pierre Lacotte donnée à l'opéra de Paris en 1972, une version historiquement informée. Dans l'attente de la semaine des premières (- dans quatre distributions différentes pour les rôles principaux -) qui débute ce vendredi, nous avons cherché à recueillir quelques textes qui rendent compte de la première production, celle que Filippo Taglioni avait créée en mars 1832 à Paris, à l'Académie royale de musique. Un journaliste du Figarorend compte de la première. Nous reproduisons un avis de décès de Marie-Sophie Taglioni, la fille de Filippo Taglioni, pour qui la Sylphide fut chorégraphiée et qui propose un résumé de la biographie.
Présentation du Ballet d'État de BavièreLa Sylphide est considérée comme le ballet romantique classique par excellence. Cette œuvre en deux actes de Filippo Taglioni, dans laquelle les danseuses incarnent des esprits aériens donnant l'illusion de l'apesanteur, n'a pas seulement permis à la danse sur pointes de percer dans les années 1830 ; elle a également créé, avec les tutus blancs des êtres fantômes, une image de cette forme d'art qui reste aujourd'hui encore emblématique de la danse classique. En 1972, Pierre Lacotte, décédé en 2023, a présenté sa reconstitution de l'œuvre à l'Opéra de Paris. Afin de se rapprocher le plus possible des idéaux romantiques transmis et du style de Filippo Taglioni, l'" inventeur " chorégraphique de la Sylphide, Lacotte s'est intéressé de près aux images et enregistrements historiques. La version de Lacotte se distingue de celle, plus connue aujourd'hui, d'August Bournonville, qui a été présentée au Bayerisches Staatsballett jusque dans les années 1990, par son langage de mouvement marqué par l'école française. De plus, la version de Lacotte est basée musicalement sur la partition originale de Jean-Madeleine Schneitzhoeffer.
Le décor d'après Pierre Ciceri a été réalisé pour le Bayerische Staatsballett sous la direction d'Andrea Hajek et fabriqué dans les ateliers de l'Opéra national de Bavière. Les costumes ont également été confectionnés dans les ateliers du Bayerische Staatsoper.
Synopsis extrait du programme de 1832C'est dans une ferme de l'Ecosse. James et Gurn , deux jeunes montagnards, sont endormis. Une sylphide est aux genoux de James, caressant son sommeil et le couvrant de baisers. James se réveille. Il ne voit rien.Cependant ces apparitions mystérieuses se sont souvent renouvelées dans ses rêves. Il demande à Gurn s'il n'a vu personne. Gurn n'a rien aperçu. Alors entre dans la ferme Effie, la fiancée de James, appuyée sur le bras de sa mère, Anne Beuden. Gurn court au-devant d'elle , mais Effie ne songe qu'à James; elle le voit préoccupé. Je pensais à toi, lui répond James. Ils se mettent à genoux et reçoivent la bénédiction de leur mère. Gurn s'éloigne au désespoir. Les compagnes d'Effie viennent lui offrir les présens de noces, et rient du chagrin de Gurn. James toujours occupé de la Sylphide la cherche partout des yeux ; il aperçoit derrière les groupes de jeunes filles une figure hideuse, c'est la vieille sorcière Madge. Elle examine la main d'Effie et lui prédit qu'elle n'est point aimée de James autant qu'elle l'aime. La mère Anne enmène ensuite sa fille pour la préparer à la cérémonie des fiançailles. James resté seul pense encore à son apparition mystérieuse. À ce moment un coup de vent ouvre la fenêtre ; la Sylphide paraît blottie dans un coin. Elle apprend à James l'amour qu'elle a pour lui ; elle n'a plus qu'à mourir s'il la repousse. Le fiancé d'Effie détourne les yeux ; puis la voyant à ses pieds enveloppée dans le manteau de son amante, l'esprit l'abandonne, il la relève, la presse sur son cœur et lui donne un baiser. Gurn qui l'épiait a été chercher Effie pour lui prouver l'infidélité de James. A l'instant où ils entrent, James fait cacher la Sylphide dans un fauteuil et la recouvre de son plaid. Gurn a tout vu ; il va le relever, mais la Sylphide a disparu ; le montagnard demeure confondu. On célèbre les fiançailles de James et d'Effie, les danses commencent, James oublie d'inviter son amante ; puis viens l'heure de la cérémonie. James alors ôte de son doigt l'anneau qu'il va échanger avec sa cousine. La Sylphide, sortie de l'âtre, lui arrache l'anneau. La raison de James se trouble, il craint de perdre sa Sylphide, et s'échappe avec elle derrière la foule pressée autour d'Effie. Surprise générale lorsqu'on vient à l'appeler ; désespoir d'Effie, qui voit s'accomplir la prédiction de la sorcière.
Le théâtre représente une forêt. À gauche est l'entrée d'une caverne. La vieille sorcière Madge célèbre un sabbat avec toutes ses compagnes, et chacune se retire en emportant un talisman ; Madge s'est réservé une écharpe. Alors, paraît au-dessus des rochers la Sylphide guidant les pas de James. Elle s'arrête au milieu de la forêt, dont les brouillards dissipés laissent voir la profondeur. En vain James veut l'entourer de caresses, elle lui échappe toujours. Puis du sein du feuillage sortent une foule de sylphides aux ailes bleues et roses. James est enivré de ce délicieux spectacle ; mais insensiblement les sylphides s'éloignent, et, une à une, se perdent dans les églantiers. James alors songe à ses fautes passées ; il voudrait trouver un moyen de retenir pour jamais auprès de lui la Sylphide qui l'a rendu infidèle. Madge sort de la caverne et lui donne son écharpe, à l'aide de laquelle les ailes de la Sylphide tomberont d'elles-mêmes. En revenant sur ses pas James aperçoit la Sylphide jouant avec un nid d'oiseau.
Elle court à lui pour lui ravir l'écharpe. James profite d'un instant pour l'envelopper dans le tissu magique, qu'il ne desserre que lorsque les ailes sont tombées. La Sylphide pâlit, les forces l'abandonnent, elle meurt. Madge vient jouir de son triomphe. Les sylphes et les sylphides descendent et enlèvent leur malheureuse compagne, ce qui forme un tableau ravissant. James accablé jette un dernier regard sur la Sylphide, voit à travers les arbres de la forêt la noce qui défile au son des cloches, pour célébrer le mariage de Gurn et d'Efie, et enfin , épuisé par tant de coups, tombe sans connaissance
Article du Figaro (14 mars 1832)ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
La Sylphide ballet en 2 actes.
Cette sylphide, c'est Mlle Taglioni avec toutes ses grâces, toutes ses coquetteries naïves, toutes ses agaçantes pruderies, tout le charme de son sourire, toute la pudeur de ses désirs voluptueux ; c'est Mlle Taglioni qui regarde avec amour, Mlle Taglioni qui lutine, Mlle Taglioni qui fuit par une cheminée, Mlle Taglioni qui se cache dans un fauteuil comme le Chérubin de le comtesse Almaviva mais qui disparaît pour n'être pas aperçue quand on lèvera le manteau dont on l'a couverte, Mlle Taglioni qui sort d'une pierre et qui rentre dans un pilier de bois, Mlle Taglioni que le vent pousse par une fenêtre dans une chambre d'où elle s'échappera au travers de deux ais mal joints, Mlle Taglioni qui danse, Mlle Taglioni qui vole parce qu'elle est Mlle Taglioni et puis parce que le machiniste l'enlève avec quelques fils de fer qu'on ne voit pas, Mlle Taglioni qui fait fête à l'amant qu'elle a arrachée à sa fiancée, Mlle Taglioni garrotée dans un talisman, Mlle Taglioni qui déniche des oiseaux, Mlle Taglioni qui perd ses ailes, Mlle Taglioni qui pâlit, se trouve mal, meurt et monte au ciel emportée par un groupe de sylphides, Mlle Taglioni. Mlle Taglioni enfin et ce nom aurait pu suffire a toute analyse comme à la tête du Roman comique le nom du coadjuteur de Retz auquel Scarron ajoutait seulement C'est tout dire !!!
Oui le ballet nouveau c'est la sylphide et la sylphide Mllee Taglioni. Qui a fait ce ballet? Avez-vous jamais demandé, quand Mme Catalani avait chanté un air, quand Paganini a joué un morceau, qui a composé ce morceau ? quel est l'auteur de cet air ? Tous les airs que chantait Mme Catalani étaient de Mme Catalani, tout ballet où Mlle Taglioni est le principal personnage est aussi de Mlle Taglioni. Le ballet nouveau est comme ces opéras-comiques que chantait Martin après la retraite d'Elleviou une scène pour un air et un duo dont enrageaient beaucoup les acteurs de Feydeau qui avaient donné à toutes les pièces où paraissait le charmant chanteur un second titre invariable : Martin tout seul.
Nous avons vu Mazillier un moment au milieu de la jolie famille des Sylphides il s'est aventuré à danser. Un homme danser parmi trente femmes c'est tout ce que Periot oserait se permettre. Mazillier avait de la pantomime à jouer, il y a été bien. Mlle Noblet représentait une jeune fille qui perd un fiancé son amour, son chagrin ont été fort gracieusement exprimés.
Parlerons-nous du ballet sous le rapport de la composition? c'est Trilby, moins la poésie que notre ami Charles Nodier a versée à pleines mains sur cette petite page fantastique. Mais ce qu'on a voulu faire on l'a fait on a voulu fournir à Mlle Taglioni l'occasion de se montrer dans tous ses avantages, et le cadre est parfaitement choisi. Le premier tableau est un peu long; il n'intéresse que par la présence incidente de la Sylphide. Le second qui commence par une diablerie grotesque, est on ne peut plus agréable. C'est, dans un grand développement, le pas des naïades de la Belle au bois dormant. Il y a là une vogue de soixante représentations. Une charmante décoration de Cicéri, de longues lignes onduleuses de jolies femmes à demi-nues, des groupes bien composés, des sylphides qui se balancent et se promènent en l'air, un tableau final bien entendu. Mlle Taglioni animant tout cela avec Mme Alexis, en voilà plus qu'il n'en faut pour attirer tout Paris à l'Opéra. L'exécution de l'ouvrage ne laisse rien à désirer.
La musique de M. Schneitzoeffer ( prononcez Chènezefre ) a des parties très agréables. Le compositeur a fait revenir plusieurs fois le chant des sorcières de Paganini et toujours heureusement.
Après la représentation le public a redemandé Mlle Taglioni, qui est venue recueillir d'unanimes bravos. Pendant le premier acte le pied lui avait glissé, elle était tombée et l'on avait craint qu'elle ne se fût donné une entorse ; au second acte, on a été complètement rassuré en la voyant voltiger et danser sur un seul pied sur le même qui l'avait trahie.
Marie-Sophie Taglioni dans le Ménestrel du 27 avril 1884
Une des plus grandes artistes de ce temps, une femme vraiment privilégiée, qui jouit du triple prestige de la beauté, du talent et de la vertu, Marie-Sophie Taglioni, comtesse douairière Gilbert de Voisins, vient de disparaître de la scène du monde, et est morte cette semaine à Marseille, à l'âge de quatre-vingts ans.
On sait les succès que Marie Taglioni remporta à l'Opéra, il y a un demi-siècle. Née en 1804 à Stockholm, où son père, Philippe Taglioni, était premier danseur et maître de ballets au théâtre, elle commença avec lui, dès l'âge de huit ans, son éducation professionnelle, et, merveilleusement douée sous tous les rapports, fit des progrès d'une rapidité exceptionnelle. Elle avait quatorze ans lorsqu'elle débuta au Théâtre-Impérial de Vienne, en juin 1822, dans un ballet composé par son père : Réception d'une jeune nymphe à la cour de Terpsychore. Son succès réalisa tous les rêves qu'elle avait pu former, en dépit d'un incident causé par l'émotion que lui causait sa première apparition devant le public. Au moment où elle s'avançait sur la scène à côté de son père, qui avait réglé tous les exercices du rôle, sa peur devint telle qu'elle perdit subitement la mémoire de ce qu'elle avait appris aux répétitions ; heureusement elle ne s'embarrassa pas pour si peu, et, se pliant aux rythmes de l'orchestre, elle improvisa sur le champ son premier pas, en présence des spectateurs. Ce fut une inspiration où se révéla tout à coup son talent naturel, et qui lui valut un succès immense. Huit fois rappelée, acclamée par la salle entière, elle fut en cette soirée l'objet d'ovations enthousiastes qui décidèrent de sa carrière et de son avenir.
Après ses premiers triomphes à Vienne, Marie Taglioni se fit admirer à Stuttgart, à Munich, à Berlin, à Londres, à Saint-Pétersbourg, et vint enfin à Paris, où elle se montra à l'Opéra, le 23juillet 1827, on dansant un pas dans le Sicilien, ballet arrangé d'après la jolie comédie de Molière. Dès cette première soirée, plusieurs personnes de distinction sollicitèrent la faveur de lui être présentées, et parmi elles un jeune journaliste qui, depuis lors, a fait un certain chemin dans le monde, M. Adolphe Thiers.
Les triomphes de Marie Taglioni à l'Opéra furent éclatants et prolongés, et la grâce chaste de la femme ajoutait au succès de l'artiste. On la vit tour à tour dans nombre de ballets écrits expressément pour elle : la Fille mal gardée (1828), la Belle au bois dormant (1829), Manon Lescaut (1830), la Sylphide (1832), Nathalie ou la Laitière suisse (1832), la Révolte au Sérail (1833), Brézilia ou la Tribu des femmes (1835), la Fille du Danube (1836). On sait aussi le talent qu'elle déploya comme mime dans l'opéra-ballet de Scribe et Auber, le Dieu et la Bayadère, et quelle large part elle prit à l'immense succès du troisième acte de Robert-le-Diable, dans lequel elle personnifiait, avec tant de grâce, de charme et de poésie, la reine des Nonnes.
Le mariage de Marie Taglioni avec un Français, le comte Gilbert de Voisins, mit fin à sa carrière d'artiste. Elle eut de cette union deux enfants, une fille, qui est aujourd'hui Mme la princesse Troubetzkoy, et un fils, qui porte le titre de son père mort en 1863 vice-consul de France à Figueras (Espagne).
M. Gilbert de Voisins était au service lorsque éclata la guerre de 1870, pendant laquelle sa conduite fut pleine de courage. En même temps qu'il était fait prisonnier à Woerth, sa mère recevait une lettre qui lui annonçait faussement sa mort. Elle le pleurait depuis plusieurs jours, lorsqu'elle apprit qu'une confusion de nom avait donné lieu à une erreur et que son fils n'était que gravement blessé. La courageuse mère, malgré son âge avancé, partit aussitôt pour aller à la recherche de son fils, dans les hôpitaux militaires d'Allemagne. Elle le découvrit enfin à Dusseldorf, où le blessé, grâce aux soins maternels, fut rétabli au bout de quatre longs mois. M. Gilbert de Voisins, aujourd'hui chef de bataillon de réserve et chevalier de la Légion d'honneur, a épousé il y a quelques années une jeune anglaise, Mlle Ralli, fille d'un des chefs de la maison Ralli frères, de Londres, l'une des plus puissantes du monde au point de vue du commerce international ; c'est alors qu'il donna sa démission de capitaine, quitta le service, et vint diriger à Marseille, avec le concours de M. Ambroise Ralli, la maison grecque Ralli et Schilizzi Argenti, filiale de celle de Londres, et la plus importante peut-être de Marseille pour les transactions avec les Indes anglaises et les États-Unis.
Mme Marie Taglioni était venue s'installer à Marseille auprès de son fils, après le mariage de celui-ci. [...]