Conte à rebours

Publié le 18 novembre 2024 par Morduedetheatre @_MDT_

Critique de La confiture de coings, de Margaux Lebrun, vue le 1er novembre 2024 à La Folie Théâtre
Avec Clara Navarro, Hugo Samperiz, mis en scène par Margaux Lebrun

J’ai envie de voir ce spectacle depuis début septembre. Depuis que j’ai vu cette affiche, en fait. Je la trouve belle. Elle me parle. Elle m’a parlé avant que je lise le titre. Lui ne m’a pas parlé du tout. Ou plutôt, tout seul, il ne m’aurait pas parlé du tout. Avec cette affiche, j’ai l’impression d’une petite magie qui s’installe. Un univers qui s’ouvre à moi. Alors je pousse la porte.

Quand je pousse la porte, je me retrouve face à un couple de personnes très âgées. Du genre tellement âgées qu’il n’y a plus beaucoup de mots qui sortent. C’est un peu troublant. Mais rapidement, elles se mettent à rajeunir. Et à rajeunir encore. Et à retracer leur vie de couple jusqu’aux prémices de leur amour…

On va se débarrasser très vite de ce qui ne m’a pas plu, ou plutôt de ce qui m’a peut-être le moins convaincue dans ce spectacle. C’est le tout début de la pièce. La vieillesse. La très grande vieillesse. Deux petits couacs à mon sens : le premier, très personnel, c’est que j’ai eu du mal avec la manière dont c’était tourné. Peut-être parce que j’étais moi-même assise à côté de quelqu’un que j’aime très fort et que la vieillesse angoisse très fort. J’ai angoissé de son angoisse. Mais aussi et surtout parce que j’ai eu peur de cette vision du vieux couple. Un peu glauque. Un peu triste. Peut-être une vision trop jeune du vieux couple. J’ai vu un peu de beauté s’en extraire mais j’ai surtout vu quelque chose qui m’effrayait un peu. Et j’ai eu peur pour la suite.

Et je n’aurais pas dû. Car la suite est un sans faute. Et en vérité j’aurais pu le sentir venir même au début. Car personne ne parlait que déjà la complicité, les souvenirs et les émotions occupaient toute la scène. Ils ne sont que deux, et pourtant, l’air est si dense. Et petit à petit, c’est comme si les corps se mettaient à occuper cette place. Comme si l’amour se transformait, comme chez Lavoisier. Il y a une telle sincérité dans cette folie du couple, cette complicité qui ne ressemble à rien d’autre, que tout semble chargé de sentiment amoureux, ce qui existe déjà autour d’eux comme tout ce qu’ils inventent.

C’est calme et sincère, touchant et pudique. C’est fou d’arriver à être inventif sur quelque chose d’aussi universel. Ou plutôt, ce n’est pas qu’ils inventent, c’est qu’ils mettent le doigt sur des choses à la fois si anodines et si caractéristiques, si vraies finalement, qu’ils parviennent à créer en nous l’effet waouw de la surprise, de l’inattendu, ce petit court-circuit intérieur qui se produit lorsqu’on a l’impression de toucher à une sorte d’absolue.

Il n’y a rien qu’on ne sache déjà, et on prend quand même un vrai plaisir de découverte. De les rencontrer, petit à petit, à l’envers. On reconstitue le puzzle. On assiste à des petits moments de vie qui donnent la vie d’un couple. Elle est banale, cette histoire – une histoire d’amour comme il en existe mille, commune, sans rien d’extraordinaire – mais ils la rendent si juste, cette histoire d’amour, qu’elle devient complètement incroyable à nos yeux. Pas parce qu’elle est invraisemblable, ou particulière. Simplement parce qu’elle est authentique. Incroyablement, invraisemblablement, particulièrement authentique.

Un petit effet Waouw qui fait du bien.