Dans ce cas on fait feu du moindre indice. La cymbalisation croissante des cigales, ces insectes les plus bruyants de notre planète, situait l’action en bordure de Méditerranée. Le titre, Le royaume apparut dans une typographie modeste. Et aucun nom du générique ne m'était connu hormis le patronyme de Colonna qui ne permet aucun doute. L’action se situera en Corse.La scène d’ouverture, de chasse au sanglier noir, confirme l’évidence. Une jeune fille, murée dans un puissant silence, ouvre la bête et sort les viscères sans frémir de se maculer de sang. On sent à la contraction des mâchoires qu’elle est très concentrée, peut-être inquiète, seule femme, qui plus est très jeune, dans ce monde d’hommes où elle est en train de se faire une place légitime.Une fois n’est pas coutume : j’ai pris peu de notes au cours de la projection. Soit que j’étais comme empêchée par la dureté de la scène, en raison du nombre de tirs qui, même avec un "silencieux", sont impressionnants, ou même par l’angoisse parce qu’on ne sait pas ce qui va arriver comme dans cette scène de chasse qui se prolongera par l’envoi des deux canines (de plus) sur les genoux de la jeune fille qui collectionne ces trophées. Soit aussi que j’étais emportée par le naturel d’une séquence de confection d’une soupe de poissons, semble-t-il improvisée, et dégustée dans une joie sincère. Ou encore intimidée par un passage au fond d’une piscine. C’est sûr, les scènes sont souvent sans explication. Les dialogues ne sont jamais bavards, marqués par une vraie pudeur, alternant le dialecte (sous-titré) et le français. Il n’y a pas de musique pour faire monter la tension, pas de violons en crescendo. On entend essentiellement le fracassement des vagues sur les rochers et les cigales qui, mais le savez-vous … font du vacarme pour signaler la présence de prédateurs. Et puis des chansons de variété. Les accents sont sincères. Et on est abasourdi d'apprendre que notamment les deux rôles principaux sont tenus par des non-comédiens. Remplacez l’un d’eux par Vincent Lindon (très bon acteur au demeurant) et vous avez un thriller à grand spectacle. Alors qu’ici tout semble authentique. Et pourtant on ne saura rien des enjeux qui poussent au(x) crime(s) si ce n’est une affreuse escalade qui fait dire au réalisateur qu’il a voulu mettre en garde les candidats à l’héroïsme apparent de la vendetta. La voyoucratie est un chemin qui ne peut qu’être pavé de drames. Sans pour autant chercher à donner des leçons Julien Colonna en dénonce le mécanisme en pointant les dommages collatéraux de ce choix de vie sur l’entourage.
Corse, 1995. Lesia vit son premier été d’adolescente. Un jour, un homme fait irruption et la conduit à moto dans une villa isolée où elle retrouve son père, en planque, entouré de ses hommes. Une guerre éclate dans le milieu et l’étau se resserre autour du clan. La mort frappe. Commence alors une cavale au cours de laquelle père et fille vont apprendre à se regarder, à se comprendre et à s’aimer.Le père est un bandit et on saura à la fin du film pourquoi il est tombé dans ce piège qui va se répéter avec sa fille. Ça se terminera mal. Impossible qu’il en soit autrement. Quoique ce soit affaire de point de vue car elle aura noué une forte relation avec cet homme qu’elle voyait si rarement. Son éducation est relativement bienveillante. Il essaie de la protéger en lui donnant les seules clés qu’il connaît : être silencieux, brouiller les pistes, se méfier de tout le monde. Mais aussi être courageux et déterminé. Quand elle peine à sortir du sommeil il se contente de conseiller : lève la tête, le corps suivra. Dans ce microcosme qu’on connaît pour ses affaires de terrorisme ce sont les hommes qui mènent la danse. Les femmes restent toujours en retrait et donc exclues (théoriquement) des rixes. Peut-être pour les protéger car ce sont elles qui élèvent les enfants. Mais ici Lesia se retrouvera en première ligne, sans y avoir été contrainte. À se pisser dessus de peur. Et le public n’est pas loin de ressentir pareil effroi, oubliant qu’il est dans une salle de cinéma.Une chose est sûre. Je ne serais pas allée le voir spontanément. Parce qu’il parle de violence. Parce que, se déroulant en Corse, on sait bien quelle réalité se cache derrière les sublimes paysages. Après avoir visionné deux fois la bande-annonce, j’avais renoncé à voir la dernière fiction de Thierry de Peretti, A son image dénonçant la Corse des années de feu. Il n'y avait aucune chance que je découvre spontanément le film de Julien Colonna. Je serais passé à côté d'un chef d’œuvre.Il ne faut pas confondre Le Domaine, film réalisé par Julien Colonna, avec un autre, du même titre, qui sort au même moment, réalisé par Giovanni Aloi (avec Félix Lefebvre, Patrick d’Assumçao, Lola Le Lann, Raphaël Thierry, Lina-Camélia Lumbroso, Rachid Guellaz, … ) dans lequel, lors d’une nuit ordinaire, trois jeunes d’à peine vingt ans tuent les propriétaires d’un relai de chasse. Ayant agi sur l’ordre d’un homme du coin, ils s’empressent de l’accuser du massacre mais ce dernier nie les faits. Pris dans un cercle vicieux, c’est la descente aux enfers… Celui là commence lui aussi par une scène de chasse. Il a été tourné dans la région de Saint-Nazaire alors que Julien Colonna a planté ses caméras en Corse.Sans être autobiographique ce film est inspiré de la relation que le réalisateur, né en 1982, a vécue avec son père, qui fut un parrain notoire. Il y a beaucoup de vrai mais cela reste un récit de fiction. Le Royaume se réclame être un travail de scénaristes, pas un travail de mémoire. Il faut souligner d’ailleurs qu’il est co-écrit avec Jeanne Herry, réalisatrice et scénariste en 2023 du prodigieux film Je verrai toujours vos visages, et du très réaliste Pupille.Le Domaine, premier long métrage de Julien ColonnaScénario de Julien Colonna et Jeanne HerryAvec Ghjuvanna Benedetti, Saveriu Santucci, Anthony Morganti, Andrea Cossu, Frédéric PoggiAvec avertissementEn salle le 13 novembre 2024