Comme souvent chez Mankell, l'histoire s'amorce très lentement, touche après touche, point de couleur après point de couleur, jusqu'à ce que le lecteur soit pris dans la toile du mystère et de l'intrigue.
Herbert Molin, ancien policier et collègue de Stefan, est retrouvé assassiné dans sa ferme isolée au coeur d'une forêt. C'est un véritable carnage à l'intérieur et un détail hallucinant saute aux yeux des enquêteurs: il y a des traces de pas ensanglantées formant les arabesques du tango! Qui a bien pu haïr à ce point Herbert Molin, a priori sans histoire, et l'inviter, mort, à danser? Afin d'oublier son vague à l'âme et son angoisse, Stefan, en congé maladie avant de commencer ses séances de chimio, se lance à corps perdu dans l'enquête, aux côtés des policiers emmenés par Guiseppe Larsson.
Peu à peu des pistes émergent, des indices affleurent laissant entendre que Molin a été longuement épié, longuement observé avec constance et haine. Molin a des choses à cacher: une étrange amitié avec Elsa Berggren, solitaire et secrète, un journal intime datant de la guerre 39/45, un long manteau noir en cuir comme en portaient les SS, des cours de danse, de tango, à Berlin lors de ses permissions. Qui était réellement Herbert Molin? Sa fille, Veronica, pourrait sans doute y répondre mais aussi Elsa Berggren qui cache un uniforme nazi au fond de sa penderie.
Au fil du récit, Mankell dispose des indices ténus, presque aériens, qui l'air de rien assemble les différents morceaux du puzzle: les souvenirs d'enfance de Stefan en compagnie de son père, réminiscences qui lui laissent un drôle de goût et une désagréable sensation, les bribes du journal intime de Herbert, le voyage au bout de lui-même d'un vieil homme, Fernando Hereira venu d'Argentine assouvir une vengeance, la mort de son père à Berlin pendant la guerre. Fernando, qui répondait à un autre nom, portait à cette époque l'étoile jaune mortifère.
Rapidement, l'enquête n'est plus au premier plan, mais les sombres pans de l'histoire suédoise lors de la seconde guerre mondiale, notamment certaines amitiés avec les nazis. Qu'il est difficile de faire la paix avec son passé surtout lorsqu'il n'est pas glorieux! Mankell rappelle qu'il y eut des volontaires suédois à s'engager aux côtés des nazis pour combattre le communisme et éradiquer les juifs. Son personnage Stefan découvre des indices qui lui ouvrent douloureusement les yeux sur les idées de son père...des idées extrémistes et nauséabondes. L'idéal nazi est encore vivant, partout dans le monde, en Suède comme dans le reste de l'Europe, avec des groupes occultes, aux financements troubles, qui gangrènent la toile internet: Veronica en est le parfait exemple; elle réussit à cacher son jeu jusqu'au bout, elle est l'anti Stefan, elle a grandi bercée par les thèses nationales-socialistes et elle s'y est épanouie et y a adhéré contrairement à Stefan qui a honte de son père et surtout qui ne parvient pas à le comprendre!
Henning Mankell avec "Le retour du professeur de danse" brosse un portrait sans concession de la société suédoise, lisse en apparence et chaotique en profondeur. On s'étonne toujours de constater que les pires thèses vivent encore et toujours, se nourrissant des angoisses, des interrogations et des fissures des hommes et du monde. Au rythme lent des longues distances parcourues en voiture par les enquêteurs, des nuits d'hôtel, des promenades nocturnes dans la ville endormie, d'un oeil car l'autre regarde caché par les voilages des fenêtres, des conversations et des souffrances de Stefan, Mankell construit un édifice tout en subtilité dans une Suède rurale, un peu sauvage, éloignée des grands centres économiques, au milieu des forêts et habitations isolées. Même la nuit semble terriblement longue jusqu'au dénouement final!
Un roman policier passionnant, terrifiant parfois mais toujours étonnant...la plume suédoise Mankell ne déçoit jamais, même si Wallander n'entre pas en scène.
Roman traduit du suédois par Anna Gibson L'avis de bmr