J'ai eu l'immense honneur d'être invité au Festival Nantais des Utopiales cette année, Festival que je lorgnais jalousement en y voyant passer les copains et copines du Café des Sciences, du Labo des Savoirs ou encore de l'ex Méthode Scientifique (actuel La Science CQFD). C'est d'ailleurs très probablement par la présence de Nicolas Martin au sein de l' équipe de programmation du Festival que je me suis vu inviter à participer à deux tables-rondes sur la scène Shayol, en plein milieu du festival. Entre les deux, j'allais aussi participer à une émission du Podcast du Labo des Savoirs. Je vous propose donc de partager ici les captations vidéos de ces deux tables-rondes (réalisées par Laurence Honnorat de la chaîne Ideas in Science) et l'émission du Labo des Savoirs avec quelques informations complémentaires et notes que j'avais préparées avant de passer au micro.
En arrivant à la Cité des Congrès de Nantes où se déroule les Utopiales, j'ai été plus que ravi de découvrir qu'une exposition de l'autrice de BD Emil Ferris y tenait une place centrale. Et pourtant il fallait simplement prêter attention aux traits de stylos bics de l'affiche si particulière du festival pour comprendre que l'artiste y serait célébrée. Je venais de finir le premier tome de sa trilogie incomplète " Moi ce que j'aime, c'est les monstres" dont je recommande la lecture au plus vite !
Table Ronde "Ce qu'on doit aux microbes"
Puis très vite j'ai retrouvé mon amie Marion Sabourdy (co-autrice de ce blog sous le pseudo de Fuzzyraptor [ses billets de la catégorie Cave Art Rocks : S(il)ex toys, Bling-Bling Dentaire et J'ai testé la vie au paléolithique] mais surtout de notre ouvrage Retour vers le Paléo) qui allait animer la première table-ronde à laquelle j'allais participer, au côté de Nico Rascovan et Adrian Tchaikovsky, et dont le titre était Ce qu'on doit aux microbes :
Et voici les notes que j'avais préparées pour cette table-ronde grâce à l'organisation aux petits oignons de Marion qui avait préparé la présentation qui suit :
Question introductive (5 min)
Comme nous avons des chercheurs sous la main, je pense que nous n'allons pas échapper à des petites définitions pour partir sur de bons rails ! Pierre, qu'entend-t-on par le terme "microbes" ?
Un microbe, c'est un organisme vivant qu'on ne peut pas observer sans l'usage d'un microscope. L'étymologie de microbe vient du grec ancien, les scientifiques raffolent du grec ancien, et forgé de μικρός, mikrós (" petit ") et βίος, bíos (" vie "). C'est un mot inventé par Charles-Emmanuel Sédillot, en 1878 pour faciliter la description des découvertes de Pasteur (ça tombe bien vu l'institut de mon collègue Nicolás). Pasteur a en effet démontré que des organismes microscopiques, répandus dans l'atmosphère, sont la cause des fermentations initialement attribuées à l'air. Le terme microbe est validé par Littré en 1886. Avant on utilisait une myriades de termes synonymes aux noms poétiques comme microzoaires, microphytes, micrococci, microzymas, bactéries, bacteridies, vibrions, microdermes, ferments, monades, animalcules, corpuscules, torules, infusoires, spores, etc.
Si on a le temps : Pierre, pouvez-vous nous parler du champignon Cordyceps ?Cordyceps est un genre de plusieurs espèces de champignons dits entomopathogènes, dans le sens qu'ils s'attaquent et parasitent des insectes (mais aussi d'autres arthropodes comme des cloportes, mille pattes et araignées). Le plus célèbre est ophiocordyceps dont le fonctionnement est décrit dans ' Moi, Parasite'
Lorsqu'une fourmi est contaminée par une spore, c'en est fait de sa volonté. Le champignon prend le contrôle et [oblige] la victime à grimper le long d'un brin d'herbe, le mordre de ses mandibules et rester immobile. [...] La fourmi ainsi perchée sur un brin d'herbe au-dessus de la colonie, le champignon peut croître tranquillement pendant plusieurs jours et germer à l'intérieur de son corps, puis la transpercer d'une longue tige boursouflée, destinée à faire pleuvoir une pluie de spores sur les autres membres de la colonie située en dessous. Le plus ahurissant dans ce contrôle comportemental, c'est qu'il est réalisé par un organisme sans cerveau et qui ne semble pas pénétrer celui de ses victimes pour accomplir ses prouesses. En effet, les réseaux de cellules fongiques qui envahissent les fourmis paraissent délaisser le système nerveux pour s'insinuer plutôt dans leurs fibres musculaires. Leur stratégie reste mystérieuse. Les champignons Cordyceps sont-ils des marionnettistes au sens propre du terme, agissant sur les fibres musculaires de leur victime comme autant de fils attachés aux membres d'un pantin ? Ou bien sont-ils de fins alchimistes, distillant des mélanges de perturbateurs neuraux à travers tout le corps de l'hôte ?
Il existe d'autres champignons entomopathogènes encore plus impressionnant comme Massospora cicadina qui s'attaque aux cigales périodiques du genre Magicicada. Non seulement ce champignon ampute les cigales infectées d'une partie de leur abdomen, mais s'il s'agit d'une cigale mâle, celle-ci va tenter de se reproduire avec toute cigale qui passe (mâle ou femelle). Cependant, ce comportement est aussi observé chez des cigales mâles amputées après prédation (qui sont donc ultrabadass). Le champignon pourrait donc profiter de la pugnacité lubrique des cigales mâles pour facilement se propager.
Si on en revient au titre de cette table ronde, "Ce qu'on doit aux microbes". Pierre, pouvez-vous nous raconter ce que nous leur devons en tout premier lieu : l'énergie ?Ce que nous enseigne Darwin et ses successeurs, c'est que tous les organismes vivants sont apparentés. Nous, humains sommes les cousins plus ou moins lointains, des chimpanzés, des limaces mais aussi des poireaux, des amibes et des microbes. Nos plus lointains cousins sont les bactéries et pourtant, nous leur devons presque tout ce qui façonne le vivant sur notre planète. Tout d'abord parce que les bactéries sont très probablement, avec un groupe de microbes qu'on appelle les archées, l'une des deux lignées d'organismes vivants ayant initialement peuplé la planète. C'est donc chez des familles de bactéries que des processus fondamentaux du vivant ont été expérimentés et sélectionnés par l'évolution. Sans bactéries, pas de photosynthèse et donc pas de dioxygène dans l'atmosphère. Sans bactéries pas de respiration cellulaire qui exploite le dioxygène pour générer de l'énergie chimique.
Mais nous humains, appartenons à une lignée un peu particulière du vivant. Nous appartenons à un groupe qui porte le nom d'eucaryotes et qui semble être une sorte d'écosystème de microbes devenu organismes. Selon des études initiées dans les années 70, il semblerait que toutes nos cellules soient des vestiges d'assemblages de plusieurs organismes: nous avons des mini bactéries appelées mitochondries qui permettent aux cellules de respirer, c'est à dire d'organiser des séries de réactions chimiques pour oxyder des nutriments et en tirer de l'énergie, notre noyau serait une structure provenant d'une archée, et chez les plantes, des cyanobactéries vestigiales confèrent le pouvoir de photosynthèse. Ce sont deux manifestations de ce qu'on appelle l'endosymbiose, forme de symbiose entre deux organismes vivants, où l'un est contenu par l'autre.
C'est très semblable au pouvoir de canalisation de la force par les midichloriens dans l'univers de Star Wars.
Nous sommes finalement des chimères, des assemblages de microbes: un concept de supraorganisme qui a débouché sur le concept qu'on appelle l'holobionte (encore du grec pour dire holo, " tout ", et bios, " vie ").
Selon moi, je suis surpris que ce nanovirus puisse être 'nano' parce qu'il devrait emmagasiner un maximum d'informations pour être en mesure de modifier des gènes de manière spécifique et surtout dirigée.
Pour modifier le génome d'un chimpanzé pour qu'il soit identique à celui d'un humain, c'est juste 1,2% de différences de génome qu'il faudrait altérer : mais ça correspond à 35 millions de corrections différentes à effectuer. Même si toutes ces modifications ne sont pas essentielles à l'acquisition de spécificités permettant l'espoir d'une civilisation, c'est probablement des milliers de modifications qui sont nécessaires.
Mais si en plus le nanovirus est capable de détecter les modifications spécifiques nécessaires à effectuer dans n'importe quel hôte, comme par exemple une araignée, c'est qu'il comporte des mécanismes capables d'évaluer quelles modifications sont à réaliser, et donc de posséder du matériel génétique lui conférant ce pouvoir.
Donc soit ce nanovirus est composé de structures encore plus compactes que les molécules d'ADN (et alors on se demande comment il fait pour trouver ses composantes dans une cellule hôte), soit il faudrait une quantité phénoménale d'information et ce serait plutôt des gigavirus.
J'ai personnellement beaucoup de mal avec la perception de l'évolution comme un progrès vers la complexification, et surtout orienté vers une forme d'intelligence. C'est un prisme autocentré de l'évolution, ce qu'on appelle l'anthropocentrisme. Ce que nous enseigne la théorie de l'évolution, c'est au contraire que toutes les formes de vies, microbes compris, sont le résultat d'un processus générant de la diversité dans le temps. Le principe de descendance avec modification qui est la base de cette théorie ne parle aucunement de complexité. Une bactérie actuelle est tout autant le résultat de plus de 4 milliards d'évolution qu'un individu humain. L'évolution marque simplement le changement des formes au cours du temps.
Nicolàs, ou Pierre : le public a peut-être entendu parler récemment de CRISPR-Cas9, un outil qui permet aux scientifiques d'effectuer des modifications précises du génome. Cette découverte a notamment valu le prix Nobel de chimie à la française Emmanuelle Charpentier en 2020. Qu'est-ce que les microbes ont apporté aux biologistes, dans les laboratoires ?La découverte de Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ayant abouti à la technique CRISPR-Cas9 est typiquement l'illustration de ce que peut apporter la recherche fondamentale, notamment ici la description des interactions entre bactéries et virus. CRISPR c'est avant tout une étude de parasitologie et de la découverte des mécanismes permettant à une bactérie de survivre à ça : (montrer peluche bactériophage). Ça, c'est un bactériophage, un virus parasite spécifique de bactéries (dont le nom signifie littéralement qui mange des bactéries). Et ces deux partenaires sont engagés dans une guerre évolutive depuis des milliards d'années qui a conduit à une course à l'armement biologique infernale. Le but du bactériophage, c'est de faire pénétrer son matériel génétique dans la bactérie pour que celle-ci le copie et fabrique des nouveaux virus. Au cours de l'évolution, les bactéries ont acquis des myriades de défenses pour empêcher les virus de fonctionner, dont des ciseaux moléculaires qui coupent le matériel génétique viral de manière spécifique.
Et à travers la recherche fondamentale, nous humains avons compris comment marchent les armes des bactéries et les virus et on les utilise maintenant en laboratoire dans une sorte de boîte à outil moléculaire pour copier, déplacer et coller du matériel génétique.
On a pas inventé, mais trouvé chez les microbes de quoi constituer des outils de traitement de texte génétique.
Pour moi, j'ai l'impression qu'un défi d'écriture de science fiction serait de trouver un processus narratif permettant la compréhension du concept d'holobionte. Comment on peut générer un protagoniste qui émerge d'une myriade de micro-organismes. Comment faire parler un écosystème ? Ça me semble d'autant plus important aujourd'hui qu'on comprend de mieux en mieux l'importance des microbiotes, et notre impact délétère sur la biodiversité.
Émission "L'Harmonie cachée du Chaos"
Le lendemain, je me retrouvait accompagné d' Élodie Serrano et Alt 236 (aka Quentin Boëton avec qui j'ai collaboré sur sa vidéo Stendhal Syndrome : le body horror) au micro du Labo des Savoirs, pour une émission animée par l'amie Dounia Saez. J'avais déjà été invité au Labo des Savoirs pour y parler de parasites, et comme vous pourrez le constater ci-dessous, je n'ai pas vraiment su ne pas y faire références une nouvelle fois :
Et là aussi, j'avais bien fait mes devoirs et préparé à l'avance des réponses aux questions posées :
Comment l'évolution, peut-elle être une force organisatrice qui crée l'ordre et l'harmonie dans le monde vivant ?
Le fonctionnement de l'évolution est assez contre-intuitif. J'ai l'habitude de la résumer en trois mots : variation, transmission et sélection. Tout d'abord chaque organisme qui se reproduit génère de nouveaux variants. Même les organismes qui se reproduisent par clonage ne sont pas capables d'éviter des évènements chaotiques qui altèrent le mécanisme de copie. Parmi ces variations, il y en a un très grand nombres qui constituent des variations héréditaires, qui se transmettent d'une génération à l'autre. Donc on a des individus différents les uns des autres et qui comportent des variations héréditaires. De là on pourrait avoir juste des populations de plus en plus diverses avec tout le champ des variations possibles qui se manifeste, mais ce n'est pas le cas. Rien que pour des questions démographiques, tous les individus ne peuvent pas se reproduire. Si c'était le cas, il n'y aurait plus de ressources alimentaires, énergétiques et spatiales en très peu de temps. Sachant qu'une bactérie classique se divise en 30 minutes, il faudrait moins de trois jours pour que la population d'individus dépasse le poids de la planète... Donc ce qui crée l'ordre dans l'évolution, c'est le processus de sélection : ce sont les individus porteurs de variations avantageuses et non délétères qui prolifèrent. Les autres sont éliminés.
C'est ce mécanisme dit de la sélection naturelle qui fait que dans une niche écologique donnée, les individus auront tendance à se ressembler parce que porteurs de variations adaptées au milieu. Le paradoxe de l'évolution, c'est qu'à une petite échelle temporelle, les individus ont tendance à se ressembler, mais à une échelle de temps longs, où les milieux changent à un rythme géologique, les espèces auront tendance à se diversifier. Donc oui l'évolution harmonise, uniformise, mais sur des échelles de temps courts.
Le désordre et les mutations génétiques, peuvent-ils être considérés comme des moteurs de l'évolution ?
Dans les trois mots que j'ai cité pour résumer l'évolution, j'ai évoqué les variations héréditaires. Ce sont en effet essentiellement des mutations génétiques. Le hasard des mutations (ou tout autre source de variation) est le carburant de l'évolution. La sélection, sorte de tamis très étroit, est le moteur de l'évolution. Mais ce n'est pas l'unique moteur de l'évolution. Dans certains cas, les populations d'individus peuvent être suffisamment petites pour que le hasard des croisements entre eux génèrent des changements à l'échelle de population. C'est le mécanisme de la dérive génétique et c'est une autre manière d'évoluer. C'est par exemple ce qui se passe quand une petite population colonise une nouvelle niche écologique comme une île: les variations de la population initiale vont se transmettre de manière aléatoire de générations en générations. Donc oui, le hasard peut être moteur de l'évolution dans le cadre de la dérive génétique.
J'y évoque aussi des notions d'instabilités génomiques à creuser du côte de ces deux articles ( 1 et 2).
Table-Ronde "Des Liens Curieux"
Et pour finir, j'ai été convié à une table ronde où, tout semble à croire, personne ne savait ce qu'il faisait là, l'animateur Grégoire Courtois le premier. Et pourtant la conversation avec Mary Robinette Kowal et Ray Nayler s'est avérée passionnante (même si pour le coup, parfaitement improvisée). J'ai notamment particulièrement apprécié découvrir le dispositif installé par Mary Robinette Kowal pour communiquer avec sa chatte Elsie, en utilisant le système " FluentPet". Finalement une table ronde au titre bien choisi : des liens curieux !
Je n'ai plus qu'à espérer faire partie de nouveau de la programmation de ce fantastique festival en 2025 !