J’ai trouvé ce recueil poétique, intitulé Chair vive, dans ma librairie habituelle. La quatrième de couverture m’a étonnée. J’ai vu que cette poète, écrivaine et peintre avait mené une vie tout à fait hors-norme, revendiquant fièrement son statut de prostituée et militant pour une meilleure reconnaissance de ce métier…
Quoi qu’il en soit, j’ai été touchée par plusieurs de ses poèmes, surtout par ceux écrits en prison. Certains élans de révolte de cette poète suisse francophone ont une belle expression, un fort impact. On sent une poésie écrite avec vigueur et ferveur, assez « tripale » quelquefois. Le vocabulaire du corps, de la chair, occupe une grande place, spécialement dans ses poèmes d’amour et de maladie – ses derniers textes évoquent le cancer qui l’a emportée et les lourds traitements subis.
Note Pratique sur le livre
Éditeur : Points poésie
Année de Parution : 2023
Préface de Nancy Huston
Nombre de pages : 252
Note biographique sur la poète
Grisélidis Réal (1929-2005) est une artiste, poète, autrice, prostituée et activiste née à Lausanne. Elle est l’auteure d’un roman, Le noir est une couleur (1974), d’un journal de prison et de plusieurs recueils de correspondance.
Extrait de la Quatrième de Couverture
Réunies ici en un seul volume, les poésies écrites par Grisélidis Réal depuis l’âge de 13 ans forment une œuvre d’une force et d’une cohérence rares. Du symbolisme des débuts au « récit » poétique et poignant de la prostitution, des années de prison à la lutte contre le cancer, ses poèmes racontent les révoltes et les grands amours d’une vie, avec un art et une profondeur uniques. (…)
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Page 79
Promenade II
À Edeltraud
Entre les barreaux, entre les pierres
Nous tournons en cercle étroit
Nos corps faibles et fatigués
Et nos mains vides et lourdes
Sous le sévère regard qui veille
La torture saccadée de la ronde
N’a ni commencement ni fin
Toutes pareilles vêtues de noir
Avec les mêmes visages blafards
Nous tournons la roue du destin
Et les ailes déchirées de l’été
Dehors grandissent des enfants étrangers
Brûle la poussière sur des routes fuyantes
Éternellement flotte la chevelure verte
Des prairies sous la caresse du vent
Éternellement appelle la voix sombre
De la liberté dans la forêt qui se fane
Nous déclinons et nous demeurons
Éternellement brûle en nous la braise
Des nuits d’amour perdues
Le rêve mort nous déchire
Entre les murs, entre les barreaux
Nous tournons le cercle gris
De nos corps malades et vides
Notre lourde charge fatiguée
La torture éternelle du cercle
N’a ni commencement ni fin.
Été 1963
Centre de détention de Rothenfeld
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Page 107
Cantique des gardiennes de prison
Prêtresses de la souffrance
Recueillez dans vos mains nos larmes
Soupesez dans vos mains nos cœurs
Prêtresses du malheur
Qui tenez dans vos mains les clés
Des portes du silence
Vous qui nous séparez
Vous qui nous injuriez
Vous qui nous faites taire
Prêtresses de l’impuissance
Vous reniez la femme
Vous servez l’injustice
Vous donnez à la haine
Une cuirasse de barreaux
Une armure de hautes grilles
Prêtresses de la peur
Vous vous murez vivantes
Vous êtes enfermées
Dans les prisons où vous croyez
Nous tenir prisonnières
Ce sont vos propres tombes
Votre jeunesse passe
Au service de lois inconnues
Au prix de valeurs inutiles
Vous tuez votre cœur
Vous fatiguez votre âme
À prononcer des paroles perdues
Un jour nous serons libres
Et vous resterez seules
À faire des gestes las
Devant des cages vides
Prêtresses de la mort
Aux lourdes mains fermées.
Munich, le 16 juillet 1963
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