Le projet de Mastercard de faire disparaître d'ici à la fin de la décennie le modèle de paiement du commerce en ligne en vigueur depuis sa naissance est à la fois réaliste, les techniques à mettre en œuvre étant éprouvées, et radicalement ambitieux, par l'ampleur des transformations qu'il implique dans un univers plutôt conservateur.
L'objectif visé n'est lui-même pas très original, puisqu'il ressort de deux constats presque aussi anciens que l'internet marchand. Il s'agit d'une part de lutter contre la fraude, sept fois plus élevée en moyenne que pour les opérations en face à face, en raison notamment de la facilité avec laquelle les informations de carte peuvent être détournées. D'autre part, l'expérience utilisateur, avec ses saisies fastidieuses, laisse toujours à désirer et engendre des taux d'abandon de panier anormalement élevés.
La réponse que propose Mastercard à ces deux handicaps n'étonnera guère, puisqu'elle correspond à ce à quoi nous a désormais habitués Apple Pay. Elle combine trois volets complémentaires, qui participent aux deux dimensions du défi à relever, de sécurité et de convivialité : la « tokénisation » qui remplace les données statiques par un jeton unique pour chaque transaction, le paiement en un clic (sans mots de passe, remplacés par une approche de « passkey ») et l'authentification biométrique. Bien sûr, chacun de ces composants est déjà exploité et maîtrisé, parfois depuis des années.
En revanche, ce qui rend la promesse optimiste est l'espoir de leur généralisation simultanée en 2030, jusqu'à imaginer que, à cette échéance, les cartes physiques qui seront distribuées ne possèderont plus de numéro (il n'est pas seulement question d'en supprimer l'impression mais de l'éliminer totalement). Naturellement, avant d'envisager une telle rupture, il faudra que les commerçants aient tous implémenté le nouveau système… et que leurs clients aient tous adopté les comportements associés.
Pour les premiers, le surcroît de protection contre les malversations et de simplicité d'usage constituera un argument séduisant, qui pourrait même prendre une tournure coercitive si les émetteurs décident de pénaliser ceux qui rechigneraient à abandonner les anciens mécanismes, devenus trop fragiles. Pour les seconds, le changement de leurs habitudes, avec un recours obligatoire à un contrôle biométrique potentiellement perçu comme intrusif, sera peut-être plus difficile à faire accepter.
Dans une large mesure, Mastercard pose avec cette initiative un jalon important pour l'abandon du support matériel pour les paiements, qui n'a, en tout état de cause, jamais été qu'une incongruité dans l'histoire de l'e-commerce. Il faudra probablement quelques années supplémentaires pour que la carte cède la place aux porte-monnaie virtuels dans les magasins de proximité, mais la tendance paraît aujourd'hui inéluctable et l'enjeu sous-jacent est évidemment vital pour les réseaux historiques.