Hier soir, en terrasse du Point Ephémère, bar tant aimé qui me raconte toujours un petit coin de Berlin en plein Paris, au bord du canal Saint-Martin. Madame de… est avec moi et n’arrive pas à finir sa pinte de blonde. Mon ami Barry Lindon l’Irlandais nous présente Wolfram l’Allemand, Ioana la Roumaine, Kevin le Canadien, Jakob le Munichois et José l’Espagnol. Au son d’un remixe hallucinant des Clash, Barry Lindon désigne Ioana en criant que la demoiselle est une pro de la littérature russe.
“Pas vraiment”, rectifie la jeune femme. Elle glisse le doigt derrière son oreille, remet une mèche châtain en place dans son carré à la Irène Jacob. Ses yeux fardés de noir sont impressionnants. “J’aime aussi beaucoup la littérature persane du Moyen-Âge” (le nez dans ma bière, je me dis : ok, c’est une pro quoiqu’il arrive). “Et puis”, ajoute-t-elle sans un brin d’accent roumain, “les grands classiques russes, bien sûr, mais la littérature orientale en générale” et elle me débite une liste impressionnante de noms chinois, coréens et japonais que je n’ai pas pu déchiffrer et qu’il m’est impossible de retranscrire ici. Elle se penche vers moi, appuyée au bras de son chéri allemand : “Et toi, quelle est ta géographie littéraire?”
Ben dis-donc… je n’avais jamais pensé en ces termes. Je reste coite. Euh…
“Peut-être l’Europe centrale…” balbutie-je. “Et puis la France, quand même” (merde, quoi, au milieu de ce déploiement international, il me fallait défendre les couleurs de mon drapeau).
Ioana rit gracieusement, l’air de dire que je suis bien chauvine. “Qui, en Europe centrale?”
Euh… L’Allemagne, ça compte? Kafka, Kundera, Rilke, Hesse… Non, finalement, j’aime bien la littérature anglo-saxonne contemporaine, aussi: Auster, Boyle, Green. Et moderne. Fitzgerald, etc. Je me perds avec toutes ces frontières. Nous avons tellement pris l’habitude, en Occident, de réfléchir en termes de patrimoine mondial, de courants littéraires et de grands classiques, que j’en ai perdu mon passeport vers toutes ces destinations littéraires. Peut-on vraiment avoir une géographie littéraire? Je me pose encore la question. Et vous, chers lecteurs, avez-vous une géographie littéraire?