Les grands méchants, album d'Elsa Oriol et Marie Desplechin

Par A Bride Abattue @abrideabattue
Un an après L'enfance des méchants, l'Ecole des loisirs publie un livre comparable, réalisé par deux autres de leurs auteurs, Elsa Oriol (pour les illustrations) et Marie Desplechin (pour les textes).
L'autrice fidèle de cet éditeur avait précédemment réussi une collaboration passionnante avec Claude Ponti, intitulée Enfances, que j'ouvre régulièrement avec grand plaisir. Ici sa plume a été trempée dans la malice pour faire le portrait, en une page seulement, de célébrités plutôt monstrueuses que des cohortes d'enfants ont côtoyé.
La marâtre de Blanche-Neige, Dracula, Barbe-Bleue, la Reine de cœur... Iconiques ou méconnus, ces grands méchants de contes, romans ou mythes nous effraient de génération en génération. Et si nous leur donnions la parole pour qu'ils nous livrent leur version des faits ? Sincères ou manipulateurs... est-ce si évident ?
Le résultat est amusant, jouissif, particulièrement en cette période d'Halloween, et même éducatif car Sophie Van Der Linden, qui a rédigé une intéressante introduction, a raison : les méchants nous initient à l'altérité et Marie nous invite à les regarder d’un autre œil … qui fait l’essuie-glace entre le texte et l’image, cherchant dans la peinture des indices prouvant que les mots sont justes.

Combien de fois ai-je écrit que, dans l'affaire du Petit Chaperon rouge, c'était la mère qui était entièrement responsable des déboires de la gamine ? A-t-on idée d'envoyer une enfant vêtue de rouge de pied en cap à travers la forêt ? D'ailleurs de multiples versions réhabilitent le loup, quand on n'en fait pas le perdant de l'affaire. L'illustratrice a raison de le représenter en petit marquis tandis que le texte nous interroge sur nos propres habitudes alimentaires puisque, étant omnivores, manger de la viande ne nous est pas essentiel.On apprend que Cendrillon s'appelait Cunégonde et son portrait en creux (car la méchante reste Javotte) est assez amusant, démontrant que tout est question de point de vue.C'est un peu fort de café s'agissant de Barbe-Bleue mais la chute est plutôt bien trouvée et réussit à nous faire douter. Comme quoi, à l'instar des contes, une double lecture est envisageable que vous soyez encore enfant ou déjà adulte. S'agissant de Dracula j'ai une image plus positive des vampires depuis que j'ai vu Vampire cherche suicidaire consentant, un premier film très réussi d'Ariane Louis-Seize.Certains personnages se défendent avec une mauvaise foi méprisable comme le Prince de la Petite Sirène (dont j'avais oublié la misérable existence). J'aurais d'ailleurs plutôt retenu Ursulala sœur du roi Triton qui est inspirée de la sorcière des mers du conte d'Hans Christian Andersen.
La Reine de Coeur, à l'inverse, déploie des arguments rationnels qui font mouche. Et c'estla Marâtre de Blanche-Neige qui fait la couverture et qui, de loin, semble rayonner comme la madone d'une icône.N'allons pas croire pour autant que le sexe féminin est plus familier de la méchanceté. Les deux compères ont choisi quasiment autant de personnages masculins que féminins (respectivement 7 et 6) et ont fait preuve d'originalité car je n'aurais pas pensé aux Parents du Petit Poucet ni au Joueur de flûte de Hamelin.Elsa Oriol a recours à la technique du glacis qu'elle apprécie pour la possibilité qu'elle offre de revenir en arrière (ce qui serait impossible avec l'aquarelle). Après avoir tracé les traits de ses personnages elle les recouvre de peinture à l’huile blanche, au couteau de manière à instaurer du relief.Quelques jours plus tard, quand la feuille est bien sèche, elle reprend son dessin par transparence et applique ensuite la peinture qui aura des effets de transparence. 

Les grands méchants, album, illustrations d'Elsa Oriol, textes de Marie Desplechin, Kaléidoscope, Ecole des loisirs, en librairie depuis le 10 octobre 2024