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Rentrée littéraire : "Bêtes sans patrie" Uzodinma Iweala

Par Babs

Pourquoi faut-il entendre les voix de l'enfance pour que nous soyons plus vulnérables et réceptifs à l'horreur des guerres? Parce qu'à travers ses voix, résonnent l'innocence volée, la spontanéité, l'implacable aveu de vérité ou l'incroyable force de survie? Peut-être...
Je trouve qu'"Allah n'est pas obligé" d'Ahmadou Kourouma est un des plus beaux brulots contre les guerres tribales à travers l'épopée tragi-comique de Birahima, jeune-enfant soldat enrolé dans la guerre au Libéria.
Mais "Bêtes sans patrie" d'Uzodinma Iweala  pourrait bien être considéré comme son pendant huit ans après avec une plume saississante de fraicheur et de justesse. Véritable "Coup de Zinc" pour ce jeune auteur qui signe avec ce premier roman un tour de force puissant et qui résonne longtemps après...

L'auteur raconte l'histoire d'Agu, sa vie d'enfant-soldat africain aux services d'un Commandant pour lequel il est voué à tuer, exécuter, violer, massacrer. Ce cauchemar qu'il a vécu, ne cesse de le hanter, alors Agu décide de se confier et se met à écrire pour tenter non pas d'oublier mais de parvenir à être heureux  plus tard...peut-être un jour...
Dans "Allah n'est pas obligé", la musicalité et la chaleur de l'écriture criante de vie de Kourouma, laissaient place à une autocritique audacieuse et sans concessions de ces régimes qui, comme ceux de Charles Taylor, ont orchestré ou provoqué ces barbaries sans noms.
Dans "Bêtes sans patrie", le réquisitoire est insidieusement plus doux...Uzodima "coiffe" Agu d'un aura de pudeur, de retenu et sa "confession" résonne de façon sourde en écho au cri de survie de Birahima dans "Allah n'est pas obligé".
Si horrifié, on riait parfois jaune de cette spontanéité décalée de Birahima dénonçant des situations aussi violentes qu'absurdes; on courbe les épaules et on baisse les yeux quand Agu conte son quotidien d'horreurs, d'obligations" face au Commandant et son sentiment d'impureté et de souillure qu'il le tiraille; lui le petit garçon qui aimait tant lire et jouait dans la cour avec son ami Dick...
"Quand je me souviens que j'ai fait des belles choses bien avant d'être soldat, eh bien, là alors je me sens mieux. D'ailleurs si vraiment j'ai fait toutes ces belles choses avant la guerre et que maintenant je ne fais que mon boulot de soldat, comment même, je peux être un mauvais garçon, moi?".
Son échappatoire d'enfant, est de fermer les yeux, de repenser à sa vie avec sa famille, au plaisir qu'il avait de lire tous les ouvrages que son père instituteur lui rapportait, de rêver à son futur métier, ingénieur ou docteur. Et puis il y a Shrika, le second enfant-soldat du groupe, toujours présent aux cotés d'Agu malgré son mutisme profond...Lui qui n'émet plus aucun son, complêtement sonné par les visions d'horreurs quotidiennes qu'il a de plus en plus de mal à surmonter.Mais un geste suffit, une main posée sur Agu pour l'apaiser de son retour de la maison du Commandant...Une main qui n'efface rien mais, qui, pendant un bref instant, s'impose dans l'immensité du vide et de solitude dans laquelle Agu se sent.
Les actes de sauvagerie, Agu les vit et les raconte avec cette pudeur et cette innocence désarmantes, comme cette scène où il apprend pour la première fois à se servir de sa machette et qu'il finit éclaboussé du sang de l'innocente victime qui l'implorait...
Mais derrière la voix d'Agu, Uzodinma Iweala nous pousse à nous interroger : peut-on vraiment être une "bête sans patrie" quand on a conscience de ces horreurs et qu'on se sent anéanti par les actes qu'on a été obligé de commettre?Et le pardon est-il possible?
Voici une des citations qui m'a le plus touché...peut-être illustre-t-elle encore mieux le ton de l'ouvrage...
"...je marche je marche je marche je marche en direction du soleil qui se couche. Je le regarde, je veux le rattrapper dans mes mains pour le presser jusqu'à quand ses couleurs elles vont partir pour toujours. Comme ça partout y aura toujours plus que le noir et personne ne verra alors jamais les choses horribles qui se passent dans ce monde."

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