Être Juive en France

Publié le 13 novembre 2024 par Mamafunky

Je ne suis pas douée pour les grand discours. Mais coucher les mots sur le papier, enfin plutôt sur mon clavier, ça je sais faire.
Il m'aura fallu plus d'une année pour arriver à en parler.
Aujourd'hui je vous écris à coeur ouvert.

Je suis une juive de France

Juive pure souche et très fière de mes origines qui font celle que je suis aujourd'hui.
La moitié de mon sang est alsacien, un quart est polonais, et le dernier quart est marocain.
Ces origines sont mon histoire, mes fiertés et mes trauma.

Mes traumatismes, car la Shoah a marqué ma famille.
Mon papi, polonais, a été déporté et a survécu à l'enfer des camps.
Ma mère a donc été la première de la descendance à porter ce traumatisme, puis moi, et surement mes enfants à leur tour.
Le fameux traumatisme héréditaire.
Mon papi, mon héros, qui a vécu l'horreur, mais qui ne m'en a jamais dit un seul mot. Jamais.
Pour me protéger il mentait pour ne pas me dire la vérité sur son tatouage par exemple.
Mais je savais. Je ressentais certaines de ses peurs, tellement légitimes.
Et puis les mensonges pour cacher cette vérité, à un certain âge, et bien on n'y croit plus...
Parfois il parlait cette langue étrange, le Yiddish.
J'adorai l'écouter parler. Il avait encore ce fort accent polonais et parfois je ne comprenais rien.
Mais sa voix était d'une telle douceur.
Une partie de ma famille est morte là-bas dans les camps.
Une autre partie a survécu. Mais à quel prix ?
Mon papi a emporté ses secrets et ses trauma avec lui.

Mon côté Alsacien n'est pas moins traumatisé. Cette partie de ma famille a du se cacher pour survivre.
Et après la guerre, ils ont continué en se fondant dans la masse.
Être juif, mais sans le montrer.
Manger du porc, mais aller à la synagogue.
Se marier entre juifs au risque qu'un jour sinon notre moitié nous traite de sale juif.

Heureusement il y a le côté marocain, plus insouciant.
Ma mamie apportait un peu de légèreté dans cette famille très torturée.
La petite touche de cannelle réconfortante dans le Strudel ashkénaze.

Je me suis donc construite dans ce contexte familial, avec l'ombre de la Shoah planant au-dessus de moi.
Pendant longtemps d'ailleurs j'ai été très en colère contre cette religion, que je ne comprenais pas.
Les gens ne nous aimaient pas, et quand on est enfant, on ne veut pas être détesté.
Je l'ai donc rejetée en bloc, au point de débarquer à la synagogue le jour de Kippour en mâchant du chewing-gum.
Dans mon entourage, pas un seul ami juif. Comme si je ne voulais pas m'attacher à quelqu'un qui pourrait potentiellement mourir un jour.
C'est quand même tordu comme raisonnement. Certainement mon côté ashkénaze....

Ma judéité s'est donc construite ainsi.
En mangeant du porc et en participant aux diners de shabbat chez mes grands-parents.
En mangeant du gefilte fish et du couscous au beurre.
En faisant Kippour et Pessah, mais en n'allant jamais à la synagogue.

Et puis, en me mariant et en construisant ma famille, je me suis peu à peu réconciliée avec le judaïsme.
Tout en restant très libérale.
Je me suis mariée à la synagogue, mais le repas n'était pas cacher, uniquement du poisson a été servi à notre famille et nos amis.

Ma fille a eu une très belle nomination, et mon fils une magnifique circoncision.
Et au fil des années nous prenons de plus en plus de plaisir et de joie à célébrer nos fêtes en famille, à partager avec nos enfants notre culture et nos traditions.
Car le Judaïsme, c'est une religion de joie, de bonheur, et d'amour.
De bouffe aussi, car on passe notre vie à cuisiner, manger, cuisiner, manger.
Je vous assure qu'il faut un sacré entrainement pour survivre à tous ces repas !

Le 7 octobre 2023

Et puis il y eu le 7 octobre 2023.
Et notre monde a basculé dans l'horreur !
Probablement comme mon papi l'a senti arriver en Pologne, avant la 2de guerre mondiale.
Ce climat nauséabond. La peur au bide.
Cette haine du juif grandissante et infondée.

Depuis le 7 octobre, je me sens comme une enfant abandonnée.
Mes traumatismes deviennent bien trop réels.
Mes pires angoisses ont resurgi.

Je me sens seule au milieu de ma communauté.
Seule car nous sommes si peu.... Et que dans mon entourage proche, je n'ai pas d'amis juifs.

Je me sens seule, car depuis le 7 octobre 2023, pas un seul de mes amis n'a pris de mes nouvelles ou ne m'a envoyé de message...
Des amis d'une vie avec lesquels j'ai partagé chaque étape importante.
Des amis qui n'en sont pas vraiment finalement.

Mon mari m'explique qu'ils ne se sentent pas concernés, ce n'est pas de leur faute. Ils ne sont pas à notre place
Ça me rend folle de l'entendre dire cela. Qu'ils ne se sentent pas concernés, je peux l'entendre, mais je ne peux pas le comprendre ni l'admettre.
Quand la communauté juive est attaquée et qu'ils ne pensent pas à moi, leur amie...
Me rendre compte que finalement je compte si peu.
Où est-ce ma judéité leur pose problème. Finalement, allez savoir ?

Cette année qui s'est écoulée a été bien compliquée sur beaucoup de sujets.
Je suis passée par toutes les phases possibles et imaginables.
La peur, le traumatisme, la colère, l'action, le doute, la peur encore, la solitude, l'incompréhension, la tristesse...

Aujourd'hui j'en suis là.
Je suis fatiguée car chaque jour nous enfonce un peu plus dans l'horreur.
Je suis triste, car mon pays la France, ne fait rien pour me protéger.
Je suis apeurée parce que le monde entier nous hait.
Je suis inquiète car je ne sais pas où partir pour avoir la paix.
Je suis terrifiée de voir dans quel monde vont vivre mes enfants.
Je suis meurtrie parce que je n'ai plus d'ami.

J'essaye pourtant de prendre le dessus sur tout ça. De faire comme si tout allait bien.
Mais chaque jour me rappelle que tout ne va pas bien.
Aujourd'hui, nous sommes le 13 novembre 2024.
Il y a 9 ans se déroulait l'un des pires attentats que la France ait connu.
Aujourd'hui tout Instagram avait une pensée pour ces victimes innocentes...
Mais le 7 octobre, ces mêmes personnes n'ont rien posté.

C'est ainsi, le juif dérange, et j'espère un jour comprendre pourquoi cette haine envers notre peuple.
J'espère aussi que nous pourrons vivre en paix quelque part sur cette Terre et que nous n'aurons plus à craindre pour notre existence.