L'édito de Natacha Polony du 7 novembre 2024 qui me parait digne d'intérêt compte tenu du déni qui a persisté jusqu'il y a quelques jours sur le nombre alarmant des défaillances d'entreprises dans notre pays. Après les "révélations" sur le vrai déficit public de la France, voici venir les "révélations" sur " le grand fracas des défaillances d’entreprises".
L'ÉDITO DE NATACHA POLONY
07 novembre 2024
Il est des indicateurs qui passent inaperçus auprès de la petite caste politico-médiatique qui se partage confortablement entre pro- et anti-impôts. Les défaillances d’entreprises explosent depuis plusieurs mois, d’abord à bas bruit, désormais dans un grand fracas. Soixante-six mille en un an. Dans le bâtiment, dans le commerce, dans la restauration, dans le textile, des emplois disparaissent, des savoir-faire se perdent, des villes et des villages se voient privés de vie économique, de dynamisme.
Face à cette catastrophe silencieuse, le dogme économique des demi-savants est bien rodé. Ces entreprises devaient mourir, les aides post-Covid n’ont fait que retarder l’échéance. Destruction créatrice. Il faut se concentrer sur les filières innovantes, à forte valeur ajoutée, plutôt que de pleurer sur ces vieilleries. Les mêmes, pourtant, ne se sont pas émus une seconde face à la perte de toutes ces entreprises de pointe, Technip, Rhodia, Alstom, Alcatel… C’est d’autant plus idiot que l’innovation, dans les années qui viennent, va se situer en partie dans la manière dont on produit. Qu’il s’agisse de textile ou de puces électroniques, produire sans polluer, en recyclant les matières premières et les composants, fait partie des défis des prochaines décennies.
Encore faut-il, pour cela, être capable de produire encore sur notre sol. Alors que s’ouvre cette semaine la 12ᵉ édition du Salon du made in France, on reste consterné par l’absence totale de cet enjeu de production dans le discours économique dominant. Face à une droite pour qui le problème se résume à un déficit de compétitivité (sans que jamais on ne comprenne jusqu’à quel point il faut, pour gagner en compétitivité, s’aligner sur des pays dans lesquels le salaire minimum, en Asie comme au sein même de l’Union européenne, est cinq à dix fois moins élevé qu’en France), une gauche pour qui il suffirait d’augmenter le Smic pour recréer de la croissance (sans que jamais il ne soit précisé que, dans un contexte de désindustrialisation, cela ne ferait qu’augmenter les importations et enrichir un peu plus la grande distribution).
Pendant ce temps, chaque jour charrie son lot d’informations sur telle entreprise française qui a perdu un marché public. De La Poste à l’armée française, des uniformes aux véhicules de fonction, c’est le règne du moins-disant, du low cost… et des importations.
CATÉCHISME ÉCONOMIQUE HORS-SOL
Le décrochage économique de l’Europe par rapport aux États-Unis commence pourtant à se voir. En 2002, le PIB de l’Union européenne était supérieur de 4 % à celui des États-Unis. Il est désormais inférieur de 12 %. En PIB par habitant, l’écart est de 34 %. Une tendance de fond, donc, qui remonte notamment à la gestion de la crise de 2008 par des instances européennes obsédées par la lutte contre l’inflation (il ne fallait pas fragiliser les revenus des retraités allemands…). Il était d’ailleurs assez plaisant, durant la campagne présidentielle américaine, d’entendre les commentateurs disserter sur la catastrophe que représenterait pour l’Europe le protectionnisme de Donald Trump.
La guerre commerciale contre les entreprises européennes appuyée par l’extraterritorialité du droit américain remonte à Obama. Quant à l’Inflation Reduction Act, politique massive de subvention aux industries américaines, il est une des décisions majeures de l’administration Biden, et sans doute une des causes de la bonne santé de l’économie états-unienne, l’autre étant le faible coût de l’énergie. Il faut sans doute le rappeler, mais les sanctions contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine ont eu pour conséquence d’appauvrir l’Europe et d’enrichir les États-Unis. Les entreprises européennes paient leur énergie deux ou trois fois plus cher et l’Amérique peut vendre à l’Europe à prix d’or son gaz naturel liquéfié.
On peut évidemment continuer à réciter un catéchisme hors-sol sur la « mauvaise gestion » des finances publiques qui serait la seule cause du désastre économique. On peut refuser de voir que la guerre en Ukraine a fragilisé le sacro-saint modèle allemand et que nos voisins, acculés, sont en train de défendre bec et ongles ce qui leur reste d’intérêts, à savoir leurs exportations, en refusant toute politique industrielle collective en Europe. On peut faire semblant de ne pas voir que le modèle économique néerlandais, avec 120 milliards de déficit commercial envers la Chine et 170 milliards d’excédents vers l’UE, consiste à inonder leurs voisins de produits chinois à bas coût en touchant 3 750 millions d’euros de droits de douane par an, soit le deuxième montant de l’Union derrière… l’Allemagne.
SOLIDARITÉ EUROPÉNNE ?
Les entreprises du made in France, TPE, PME ou ETI, sont le cœur battant de l’économie française. Des entreprises qui créent de l’emploi, donc des rentrées fiscales et de la croissance, qui maillent le territoire, préservent les savoir-faire et permettent l’innovation. Et ce qui est vrai à l’échelle de la France l’est à l’échelle de l’Europe : notre survie, la condition de notre indépendance, la perpétuation d’une civilisation européenne et de sa traduction dans des institutions politiques démocratiques, tout cela dépend de notre capacité à restaurer nos capacités de production industrielle et agricole.
Encore faut-il que les pays européens se montrent solidaires – et rappelons à nos élites politiques que la solidarité nécessite non la soumission mais l’égalité. Encore faut-il qu’une Commission sans vision ne serve pas les intérêts des uns contre les autres. Encore faut-il que la France ne brade pas les avantages que lui confèrent les décennies de politique industrielle gaullienne et dont il reste des bribes. Il existe, partout en France, des gens qui offrent au pays leur enthousiasme, leur créativité, leur courage. La seule bonne politique est de les soutenir plutôt que de les faire crever par arrogance, par conformisme ou par mépris.
Le résumé de Recall.ai
- Les défaillances d'entreprises en France explosent, avec 66 000 entreprises disparues en un an, entraînant la perte d'emplois et de savoir-faire
- Le dogme économique dominant considère que ces entreprises devaient mourir, mais ignore l'importance de la production industrielle et agricole pour l'indépendance et la croissance économique.
- L'auteur, Natacha Polony , dénonce l'absence de solidarité européenne et la politique économique qui favorise les importations et les intérêts des pays comme les États-Unis et la Chine, au détriment des entreprises européennes.