Denis Clerc, membre, en 2005, de la commission présidée par Martin Hirsch
LE MONDE - Nicolas Sarkozy a détaillé, jeudi 28 août, le dispositif du revenu de solidarité active (RSA). Cette prestation a un double objectif : inciter les allocataires de minima sociaux à reprendre un emploi et améliorer le pouvoir d'achat des travailleurs pauvres. Sans condamner la réforme, Denis Clerc en souligne de possibles effets pervers. Ce conseiller de la rédaction d'Alternatives économiques fut membre, en 2005, de la commission présidée par Martin Hirsch qui a promu l'idée du RSA. Il publiera, le 23 septembre, La France des travailleurs pauvres (Grasset).
Quel jugement portez-vous sur le RSA?
Un jugement nuancé : cela réduira (un peu) la pauvreté laborieuse, mais avec le risque d'augmenter les miettes d'emploi.
Pensez-vous que le RSA encouragera les employeurs à proposer des emplois à temps partiel ?
Le risque existe. Certains emplois à temps très partiel qui ne trouvent pas preneurs aujourd'hui pourraient bien, demain, être pourvus, car un complément de revenu social sera versé à ceux qui les occuperont. Non seulement les salariés seront plus enclins à les accepter, mais, probablement, ils seront contraints de le faire. Dans la nouvelle logique de droits et de devoirs, il y aura davantage de pression sur les candidats pour qu'ils acceptent ces emplois, qui sont paupérisants. L'Etat est déjà complice de cela puisqu'il incite, par des déductions fiscales et des baisses de cotisations sociales, les particuliers à multiplier ces emplois. Deux secteurs d'activité sont très exposés : les services à domicile (où la durée de travail hebdomadaire moyenne est de huit heures) et l'hôtellerie restauration. La France compte déjà 1,75 million de travailleurs pauvres.
Craignez-vous un blocage des salaires ?
Non, mais le RSA pourrait avoir un effet indirect. La plupart des emplois qui seront occupés par les bénéficiaires du RSA seront à des niveaux proches du smic. Or les salariés au smic bénéficient de forts allégements de cotisations. Cela incite les employeurs à ne pas augmenter les salaires pour ne pas perdre ces avantages. Ce mécanisme pervers risque donc de s'accentuer.
L'Etat doit-il subventionner des emplois paupérisants? Faut-il plutôt sanctionner les entreprises qui les proposent?
Il faut subventionner l'emploi au bénéfice des personnes qui n'arrivent pas à en trouver car l'employeur les soupçonne d'une productivité faible. Mais il faut aussi sanctionner les employeurs qui profiteraient du RSA pour multiplier les emplois indignes. On doit manier à la fois la carotte et le bâton.
Pour l'heure, on crée la carotte mais pas le bâton…
L'absence, dans le projet de loi RSA, d'obligations pour les employeurs est une lacune. Il faut obliger les branches à ouvrir des négociations sur les bas salaires et la réduction des emplois à temps partiel. Il faut aussi imposer une évaluation annuelle de la réforme pour vérifier que les emplois précaires ne se multiplient pas.
Pourrait-on limiter les effets pervers potentiels du RSA ?
Oui, en commençant à verser le RSA à partir d'un tiers-temps et non dès la première heure de travail, comme prévu. Verser le RSA à partir de onze heures trente de travail hebdomadaire moraliserait le marché du travail et permettrait d'allouer un complément de revenu plus élevé. Les salariés incités à occuper des emplois d'une durée inférieure pourraient légitimement les refuser puisqu'ils ne seraient pas éligibles au RSA.
Pour ne pas pénaliser les plus en difficulté, ceux qui ne sont pas en mesure de reprendre tout de suite un emploi à temps plein – ou même à mi-temps –, on pourrait imaginer que des associations spécialisées ou des chantiers d'insertion les aident dans leurs premiers pas sur le marché du travail.
Le RSA va-t-il faire baisser le taux de pauvreté?
Ce n'est pas une arme telle qu'elle permette à plus de 1 million de personnes de sortir de la pauvreté. Si on arrive à 500000, ce sera bien. La mesure que je propose (réserver le RSA aux gens qui travaillent au moins un tiers-temps) permettrait, avec la même somme dépensée, de sortir 800 000 à 900 000 personnes de la pauvreté.
Ces chiffres paraissent faibles au regard de l'ambition du gouvernement de faire baisser la pauvreté d'un tiers d'ici à 2012.
C'est peu, sauf qu'il peut y avoir une dynamique. Aujourd'hui stagnent dans la pauvreté des gens qui n'ont pas accès à l'emploi. Le RSA peut avoir un rôle incitatif. Néanmoins, les freins au retour à l'emploi sont très peu monétaires. Ils sont bien davantage liés aux problèmes de mobilité, de santé ou de garde d'enfant. La dynamique ne sera enclenchée que si l'Etat et les partenaires sociaux font un très gros effort de formation et de soutien envers les personnes les plus en difficulté, qui sont aujourd'hui complètement laissées à l'abandon.
Propos recueillis par Emmanuelle Chevallereau - LE MONDE
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