Serge Heughebaert s'adresse à Pierre Avvanzino, qui, à ses yeux, peut le mieux raconter la vie de Monsieur Hubert chauffeur (très particulier).
Romancier, il pense que cet ami chercheur est plus à même que lui d'écrire la biographie d'Hubert, tout en lui conseillant de l'écrire en romancier.
Hubert, sa vie le montre, a besoin de reconnaissance. Mais Pierre tire sa révérence avant de se mettre à l'ouvrage et le devoir d'écrire échoit à Serge.
La vie d'Hubert est un roman, qui commence mal, qui connaît des hauts et des bas et qui ne se termine pas trop mal, parce que le personnage sait rebondir.
Où et quand son histoire commence-t-elle? Hubert naît en 1947. Son père est jardinier et sa mère à l'office du Plongeon, vaste demeure au bord du lac.
Cette demeure est celle de grandes familles de l'est de la France qui vivent de la soie, ce qui fait dire à l'auteur qu'Hubert y fut porté aux fonts baptismaux.
Les enfants de ce monde, resté en France, sont placés dans une école catholique à Fribourg et les parents d'Hubert Meyer s'en occupent les week-ends.
Tous, parents et enfants, se retrouvent au Plongeon pendant les vacances. Les parrain et marraine d'Hubert appartiennent d'ailleurs aussi à ce monde.
En 1950, les temps sont durs, son père seul est licencié. Il retrouve un emploi dans une demeure austère, où le petit Hubert perd tous ses repères affectifs.
En effet, chaque jour, sa mère retourne sans lui au Plongeon. Petit dernier il vit à l'écart de ses frères aînés. Le remède à son problème sera pire que le mal.
En 1955, l'été venu, son père le place à l'Institut catholique de La Salette à Bouleyres, où il est abusé. Au retour, sa mère ne le croit pas: le pervers c'est toi ...
Le reste de sa jeunesse il sera replié sur lui-même mais son caractère et sa connaissance du grand monde lui permettront de séduire et de surmonter ses avanies.
Ainsi fera-t-il des études à l'École hôtelière de Lausanne, sera-t-il au service de grandes familles, comme celles connues enfant et apprendra à conduire.
Il conduira sans permis de luxueuses automobiles, dont il fera, sans vergogne, un usage personnel. À chaque fois que le vent tournera, il s'échappera.
Comme il ne peut pas gagner à tout coup, il se retrouvera à plusieurs reprises derrière les barreaux, où cet homme distingué ne restera jamais longtemps.
Ce n'est pas pour rien que l'auteur parle de Monsieur Hubert. Monsieur exprime à la fois le respect qu'il lui voue et celui qu'il inspire de par son allure.
L'auteur se demande s'il est important que l'histoire d'Hubert serve à quelque chose. Il y a pourtant une leçon que le lecteur pourrait en tirer, à mon sens.
Hubert a prouvé, en grandissant, qu'il ne restait pas dans une attitude victimaire, qu'il allait certes abuser de biens mais jamais de l'intégrité de personnes.
Il est frappant dans ce récit, que ceux dont il a abusé de la confiance ne lui en veulent pas, ou pas outre mesure, parce qu'il a de l'élégance innée et acquise...
Cette élégance le conduit, dans l'épilogue, où il dit se reconnaître dans ce récit, à exprimer ses regrets, à demander des excuses à certains de ses employeurs:
Je voudrais aujourd'hui leur donner six mois gratuits. Leur faire les plus belles fêtes qu'un maître d'hôtel, qu'un chauffeur, qu'un majordome, puisse offrir à ces gens-là.Ses patrons ont dû sentir qu'il les aimait, même s'il est difficile de le penser, puisqu'il partait avec leur voiture, leur carte de crédit ou leur carnet de chèques...
Cette élégance se manifeste encore à l'égard de ses parents, à qui il pourrait en vouloir. Il aimerait que son père soit fier de ce qu'il a été et qu'il n'a pas connu.
À sa mère, il aimerait enfin pouvoir dire: Quelle belle vie on a passé ensemble. Quels bons souvenirs nous avons eus ensemble. [...] On s'est aimé .
Francis Richard
Monsieur Hubert - Un chauffeur (très) particulier, de Serge Heughebaert, 144 pages, CabéditaLivre précédent à L'Âge d'Homme:
Traces (2017)
Livre précédent chez Slatkine:
L'ombre de Sissi (2022)