35 ans après la chute du mur : La liberté, un mythe pour les anciens pays du bloc soviétique ?
L'effondrement du bloc de l'Est et la chute du mur de Berlin en 1989 ont été acclamés comme une victoire de la liberté et de la démocratie sur l'autoritarisme. Pourtant, trente-cinq ans après, il devient de plus en plus évident que cette " liberté " n'a pas tenu ses promesses de bonheur et de prospérité pour des millions de personnes dans l' Europe de l'Est. Kristen Ghodsee, dans son article percutant pour Le Monde diplomatique, intitulé " Le saccage des sociétés de l'ancien bloc de l'Est ", analyse cette transition traumatique qui, au lieu de libérer, a plongé des sociétés entières dans une pauvreté et une instabilité dévastatrices.
Liberté ou manipulation ?
Ghodsee utilise le terme " gaslighting " pour décrire ce qui s'est réellement passé. " To gaslight " désigne une manipulation psychologique qui pousse une personne à remettre en question sa propre réalité. Dans ce contexte, les gouvernements occidentaux et leurs alliés ont appliqué cette manipulation à des populations entières, les convainquant que leurs sacrifices étaient nécessaires pour atteindre la liberté et la prospérité promises. Mais ces promesses n'ont pas été tenues. Au lieu de cela, les pays du bloc de l'Est ont été projetés dans un tourbillon économique, où des générations entières ont perdu leurs repères, leur sécurité et même, dans certains cas, leur santé.
Un coût humain dévastateur
En pratique, la transition vers le capitalisme n'a pas été la success-story annoncée. Comme le souligne Ghodsee, les chiffres parlent d'eux-mêmes : une explosion du chômage, des inégalités sans précédent, une chute drastique de la natalité et une surmortalité alarmante. Selon une étude de Ghodsee et de Mitchell Orenstein, 47 % de la population dans les pays postcommunistes est tombée sous le seuil de pauvreté, une situation jamais vue en temps de paix depuis la Grande Dépression des années 1930.
Cette période a même affecté la santé physique des individus, avec des adultes nés dans les années 1990 mesurant en moyenne un centimètre de moins que ceux des décennies précédentes. C'est une conséquence directe des conditions de vie détériorées dans les années suivant la transition au capitalisme, comparable aux effets observés dans les zones de guerre.
Une thérapie de choc au lieu de réelles solutions
L'idée de " thérapie de choc ", défendue par les économistes et politiques occidentaux, consistait à imposer un changement économique rapide, sans filet de sécurité pour les populations. La logique était que les citoyens accepteraient temporairement la souffrance pour obtenir, à terme, une vie meilleure. Cependant, le choc a largement surpassé la thérapie, et beaucoup de pays ont été plongés dans des décennies de misère et d'instabilité, sans jamais atteindre la prospérité promise.
Les avertissements des économistes locaux, tels que János Kornai, ont été ignorés. Kornai avait décrit cette stratégie comme une voie vers la " weimarisation " de l' Europe de l'Est, évoquant le risque de voir émerger des dirigeants autoritaires, ce qui s'est effectivement réalisé avec des figures telles que Viktor Orbán en Hongrie et Vladimir Poutine en Russie.
La liberté, mais pour qui ?
Pour beaucoup de citoyens de l'Est, le mythe de la liberté et de la prospérité s'est vite effondré. Alors que certains, notamment dans les élites, se sont enrichis, la majorité a vu son niveau de vie chuter dramatiquement. Des multinationales et des oligarques locaux ont rapidement pris le contrôle des ressources, ajoutant encore à la frustration des citoyens, qui se sentent floués par ce " rêve " capitaliste imposé de l'extérieur.
Une leçon pour l'avenir
L'anniversaire des 35 ans de la chute du mur de Berlin ne peut plus être célébré de manière simpliste. Le triomphe de l'Occident a eu un coût humain et social massif pour l'Europe de l'Est, un coût que les politiciens et les économistes occidentaux semblent vouloir minimiser, voire nier. Cet anniversaire devrait servir de rappel : le sacrifice des populations au nom de l'économie et d'une hypothétique prospérité n'est pas sans conséquences. Ghodsee souligne que l'Occident a semé une instabilité politique qui continue d'alimenter des tensions aujourd'hui, avec une montée de l'extrême droite et un retour des sentiments nationalistes et autoritaires.
En fin de compte, cette transition " libératrice " s'apparente davantage à une expérience désastreuse qu'à un véritable éveil des libertés. Alors, cette liberté promise : rêve ou chimère ? À 35 ans de distance, la réponse semble malheureusement pencher du côté de la désillusion.
Pour découvrir l'article du Monde diplomatique : https://www.monde-diplomatique.fr/2024/11/GHODSEE/67717
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