Présentation de l’éditeur :
Chalumeau en main, John LaLiberté, ironworker comme ses ancêtres, sectionne l’acier à la recherche de survivants. Les Twin Towers viennent de s’effondrer sous ses yeux. Depuis le premier rivet porté au rouge dans un brasero, jusqu’à la construction de la Liberty Tower, six générations de Mohawks ont bâti l’Amérique. La légende dit qu’ils n’ont pas le vertige. Peut-on apprendre à maîtriser sa peur ? «Aussi loin que je me souvienne j’ai voulu marcher sur les pas de mes ancêtres, sur des poutres de trente centimètres.»
Alors qu’il était correspondant de presse pour l’AFP à New York en 2001, Michel Moutot a assisté à l’effondrement des tours du World Trade Center et a couvert l’événement sur place. Le soir même de l’attentat, de nombreux ironworkers, dont plusieurs Indiens Mohawks, ont afflué vers le lieu de la catastrophe pour commencer à découper tout l’acier de « la pile » effondrée. C’étaient déjà leurs pères qui avaient élevé les tours jumelles, perpétuant la tradition de courage et de compétence des Mohawks dans la construction des gratte-ciel et autres ouvrages aux structures d’acier, aux Etats-Unis et au Canada notamment. Michel Moutot s’est intéressé de près à ces ouvriers et a cherché le grand roman américain qu’inévitablement, un grand auteur avait déjà écrit sur eux. Eh bien non, ce roman n’existait pas et c’est ainsi que le journaliste s’est lancé dans l’écriture de son premier roman. Dès le premier chapitre, il nous plonge dans la stupeur liée à l’attentat du 11 septembre 2001. Nous suivrons régulièrement John LaLiberté dans l’enfer du chantier de Ground Zero, qui a causé de nombreuses morts et maladies parmi ceux qui y ont travaillé et respiré les particules nocives. Au fil des chapitres, Michel Moutot alterne les époques : on remonte au 19è siècle, quand les Mohawks ont abandonné le travail de bûcheronnage et de débardage du bois pour se lancer dans les grands travaux liés à l’acier : ponts, gratte-ciel… et quand la légende selon laquelle ils n’auraient pas le vertige est née. On passe par la construction du pont de Québec en 1907 et on revient aux tours jumelles lors de leur édification à partie de 1968. Le tout est passionnant, extrêmement bien documenté et rythmé, le style est fluide, direct et on passe un excellent moment en compagnie de cet auteur (tout comme la rencontre à la librairie Au Temps Lire le 10 octobre dernier, où Michel Moutot s’est montré intarissable sur son travail et les sujets qui le passionnent).
« Il paraît que nous sommes des dizaines de Mowaks des Six Nations à Ground Zéro. Et des centaines se préparent à descendre. Ces tours, nos pères les ont bâties; elles sont à nous. Nous devons être là, aux premiers rangs, pour leurs funérailles. »
« Pour les Mohawks, dont le sort est lié à la grande voie d’eau, descendre le fleuve et passer sous les arches de métal symbolisait le passage à une ère nouvelle. Ils l’observaient avec un mélange d’admiration et d’appréhension : le pont était la porte d’un monde inconnu, sa présence signifiait que le leur allait être bouleversé et qu’ils allaient à nouveau devoir s’adapter. Le pont Victoria annonçait la fin prochaine des bateaux de transport, la disparition des radeaux de rondins, la victoire de la roue sur la pagaie, l’unification du pays, le chemin de fer, le raccourcissement des distances, l’industrialisation, le triomphe à venir d’une société blanche, étrange et, vue de la berge à Kahnawake, toujours menaçante. »
« Pour nous les monteurs d’acier indiens, ces gratte-ciel seront nos pyramides d’Égypte, notre Empire State Building, nos chefs d’œuvre. Nos pères, nos grands-pères, et leurs ancêtres avant eux ont bâti les ponts, les villes, les monuments de l’Homme blanc. Les passerelles, les montagnes de fer, les cités de l’Amérique. Avant l’invasion de nos terres, nous étions des charpentiers, des bâtisseurs de longues maisons. Quand les anciens ont compris qu’ils ne pourraient pas vaincre les envahisseurs venus de l’Est, ils ont gagné par leur travail, leur sueur, leur courage et leur sang leur place dans ce nouveau monde. Nous en sommes fiers. Nous n’avons que faire de leur sentiment de culpabilité qu’ils rachètent par des allocations, des détaxes sur les cigarettes ou des licences pour l’ouverture de casinos. Un ironworker ne vit pas de charité. Quand j’avance sur la poutre, au dessus de Manhattan, quand j’assemble a la main les pièces de leurs cathédrales d’acier, je ne suis pas dans leur univers mais dans le mien. Je marche où personne n’a marché avant moi. Dans le ciel. Avec les aigles. »
Michel MOUTOT, Ciel d’acier, Arléa, 2015
Une participation au Challenge Sous les pavés, les pages, organisé par Athalie et Ingannmic
Et aussi à la thématique Mondes du travail chez Ingamnic