Réponse à l’enquête sur « La Poésie indispensable »1
Il apparaît que la sordidité de la plupart des
œuvres dites d’avant-garde ne le cède en rien à celle de l’activité littéraire
conformiste. Les lois admirables puisées par le surréalisme dans Lautréamont et
Freud : phénomène de dépaysement, richesse de l’inconscient (rêve,
automatisme) servent de refuge à la débilité mentale, tant en peinture qu’en
poésie.
Le caractère utile, subversif de la
poésie se trouve ainsi réduit à néant, avec l’approbation tacite des
« conducteurs écoutés », tantôt par leurs initiatives
confusionnelles, tantôt par certains de leurs poèmes mêmes, dépourvus d’accent et de préoccupation humaine.
La poésie sert à rendre assimilables les éléments nutritifs de la Réalité.
Poésie de Méléagre. « Les Magiciennes » (idylle de Théocrite). Un chapitre de Don Quichotte. Scène de Troïlus et Cressida de Shakespeare (T. et Ulysse cachés écoutent C. et Diomède). Scène de la La Nuit des Rois, du même (déclaration d’amour d’Olivia). Une scène de Racine (par ex. : « Excité d’un désir curieux »). « Alchimie du verbe » par A. Rimbaud. Une lettre des Liaisons dangereuses. Un épisode de Justine. « Une martyre » de Baudelaire. L’épisode de la lampe « au sourire inextinguible » de Lautréamont. L’épisode des « trois marguerites » du même. Un théorème avec démonstration de l’Éthique de Spinoza. L’étude de Freud sur le « Choix objectal » (avant-dernier numéro de la Revue de Psychanalyse). Un épisode de La Femme changée en renard de David Garnett. Légendes de La Femme 100 têtes d’Ernst. « Abondance viendra » de René Char. « Ulalume » d’E. Poe. Un passage de Sanctuaire de W. Faulkner. Un passage de Lady Chatterley. Le récit nu de l’assassinat et du viol de Véronica Gédéon dans un journal quelconque.
Gilbert Lely, "Pages critiques", dans Poésies complètes, tome III, Texte préfacé, établi et annoté par Jean-Louis Gabin, Mercure de France, 2000, p. 185-186.
contribution de Tristan Hordé
1 Le questionnaire, précédé d’un argument, a été rédigé par René Char, Cahiers G. L. M., mars 1939. La question : « Contre toute tentative d’annexion, de stabilisation, d’estimation bornée de la poésie, désignez-nous vingt poèmes, sans restriction de pays ou d’époque, dans lesquels vous aurez reconnu l’INDISPENSABLE qu’exige de vous non pas l’éternité de votre temps mais la traversée mystérieuse de votre vie. » (René Char, Œuvres complètes, Introduction de Jean Roudaut, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1983, p. 740.