Cette année la Neuvième symphonie de Beethoven fête ses deux cents ans. Elle avait été donnée pour la première fois en mai 1824 au Teater am Kärtnertor de Vienne en présence du compositeur qui, ne pouvant la diriger en raison de sa surdité, partageait cependant la scène avec le Kapellmeister du théâtre en donnant et battant le tempo. L'Orchestre et le Choeur d'État de Bavière se devaient de célébrer cet anniversaire d'une œuvre qui, avec son message intemporel, a gardé toute sa jeunesse et toute sa fraîcheur.
À cette occasion, Vladimir Jurowski a réveillé ses souvenirs personnels de ce chef-d'œuvre. Âgé de 12 ans, il écoutait les disques de la collection de son père qui contenait l'intégrale des symphonies de Beethoven dirigées par Otto Klemperer. Il mit longtemps avant de trouver la connexion à cette œuvre monumentale et mythique et n'entreprit de la diriger que dans la maturité de sa carrière. Il raconte sa lente progression vers cette symphonie dont il a d'abord apprécié les deux premiers mouvements avant d'embrasser toute la partition. Ce n'est qu'après avoir fêté son 40ème anniversaire qu'il a pour la première fois dirigé cette symphonie, dont le côté monumental inspire le respect. Jurowski la définit comme un chef-d'œuvre aussi intemporel et universel que la « Pietà » de Michel-Ange, la « Cène » de Léonard de Vinci ou la « Madone » de Raphaël.
Le programme ne manque pas de surprendre et d'interroger. Vladimir Jurowski a choisi d'apparier le The Survivor of Warschaw (Le survivant de Varsovie) d'Arnold Schönberg à la dernière symphonie de Beethoven. Le Maestro explique ce rapprochement par sa volonté de réaliser " une association thématique ciblée de la musique historique avec les événements sociaux et politiques les plus récents et, surtout, avec la musique des temps modernes ou du passé récent."
C'est la troisième fois que Jurowski associe les deux oeuvres lors d'un concert. Le premier de ces concerts eut lieu il y a dix ans, peu après la révolution du Maïdan à Kiev. Il avait alors donné le Survivant de Varsovie avant la Neuvième symphonie et avait demandé au public " de ne pas applaudir lors du passage de Schönberg à Beethoven, afin de pouvoir commémorer de cette manière les victimes civiles innocentes de notre époque [dite] pacifique." Lors d'un concert berlinois donné fin 2017, il avait inséré le Survivor entre les troisième et quatrième mouvements de la symphonie de Beethoven, une idée qu'il avait reprise à Michael Gielen qui avait procédé de cette manière à Francfort dans les années 1970. Lors des actuels concerts d'Académie munichois, il n'a pas fait d'annonce au public, mais a fait donner le premier accord de la Neuvième en enchaînement immédiat, sans solution de continuité, du dernier accord de Schönberg.
Hanna-Elisabeth Müller, Emily Sierra, Daniel Behle et Christoph Fischesser
Choeur et Orchestre d'Etat de Bavière« Freude, schöner Götterfunken ». Les temps ne sont pas aujourd'hui à la célébration de l'hymne à la joie, l'utopie conçue par Schiller en 1785 et et reprise par Beethoven en 1824. L'idée d'une vie heureuse sur terre paraît bien utopique dans un monde qui connaît l'avènement de nouvelles dictatures et qui est loin d'être pacifié. L'oeuvre de Schönberg veut sauver de l'oubli toutes les personnes que la barbarie oblitère du monde des morts comme de celui des vivants. Le mariage des deux œuvres dénonce l'horreur absolue des persécutions et des génocides tout en proclamant le droit au bonheur et à la joie, tout chimériques qu'ils soient.
C'est la basse allemande Christoph Fischesser qui a interprété le rôle du narrateur dans le Survivor of Warschaw, une oeuvre qui se décline en trois langues, l'anglais pour le récit du survivant, l'allemand et l'hébreu du choeur final qui chante le Chema Israel, la proclamation monothéiste du Deutéronome. À noter que l'oeuvre très courte de Schönberg et la symphonie de Beethoven se terminent toutes d'eux par un choeur.
« Le mythe peut aussi vous faire vibrer » commente Vladimir Jurowski à propos de la neuvième symphonie. Le chef et l'orchestre rendent admirablement les vagues énergétiques remplies de colère et de désespoir qui jaillissent dans la musique de Beethoven, ces sons lancinants semblables à un océan tumultueux, qui nous transportent instantanément. On peut rappeler que la Neuvième avait été composée à la fin des terribles guerres napoléoniennes, alors que la moitié de l'Europe était en ruines. Beethoven avait écrit sa symphonie porteuse d'un message politique et spirituel à l'attention de l'humanité tout entière. Au final, le chœur et les quatre solistes qui chantent l’appel à la fraternité de l'Ode à la joie de Schiller rendent parfaitement compte de l’humanisme de Beethoven.
La beauté de la musique ne peut occulter le message politique : le Survivant de Varsovie est aussi présent aujourd'hui dans les décombres de la guerre de la Russie contre L'Ukraine, il est le rescapé du massacre de Sim'hat Torah en octobre 2023, il erre dans les ruines de Gazah et partout dans le monde où règne la guerre. Au point de vue planétaire, l'Hymne à la joie semble aujourd'hui inaccessible.
Distribution du 1er Concert d'Académie (5 novembre )
Direction d'orchestre Vladimir Jurowski Choeur Christoph Heil
Hanna-Elisabeth MüllerEmily SierraDaniel BehleChristoph Fischesser
Crédit photographique © Geoffroy Schied