L’homme qui court

Par Carmenrob

On se demande parfois ce qui fait courir certains voyageurs sans reprendre leur souffle. C'est la question que m'a soulevée la lecture de Blanc de Sylvain Tesson, un habitué des périples téméraires jouant comme un accro avec les limites de la survie. Tesson nous raconte ici sa traversée des Alpes de Menton à Triestre avec son ami Daniel du Lac, en quatre-vingt-cinq jours répartis sur quatre ans. En chemin, Rémoville, un alpiniste croisé dans un refuge, se joindra à eux pour une partie de l'aventure.

L'équipe, chargée de peu, alterne entre la grimpe, le ski et la marche en fonction des conditions du terrain. Au sommet de l'échelle des risques, la foudre, rare, tue instantanément. Puis viennent la chute, l'avalanche, l'égarement dans le brouillard (qui peut entraîner les deux risques précédents). Le froid et le vent pointent en dernier, puisqu'on peut toujours s'enfouir dans un trou de neige. (p. 83) Mais ils goûtent aussi la magnificence des paysages et la récompense de l'effort dans la tiédeur des refuges parfois sommaires, parfois douillets. Et, comme à son habitude, Tesson transporte avec lui son bagage littéraire et un ou deux livres.

Le récit est divisé en courts chapitres qui correspondent généralement à une journée au terme de laquelle l'auteur résume l'étape et partage ses réflexions sur la neige, la glace et le Blanc, comme il dit, ainsi que des souvenirs et de nombreuses références littéraires. Nous ignorons parfois les tenants et aboutissants de ces références, mais cette incompréhension nuit peu à notre lecture. Faut dire que Tesson est un sacré érudit !

est une lecture idéale pour l'avant-dodo. Pas de quoi s'exciter, mais peut-être de quoi rêver ou méditer. Et il écrit avec une si belle plume, cet homme ! Avec un talent particulier pour les formules lapidaires qui suggèrent beaucoup en quelques mots. Après deux cols, s'avança le balcon surplombant Livigno. C'était une course sauvage. Le vent, la forêt, le vide et le soleil : nous glissions dans les motifs du merveilleux. Tout voyage tisse son héraldique. Entre deux vallées, la nôtre était de cristal et d'azur. Le monde scintillait, l'air était pur, les arbres à leurs postes, le silence sur la neige. Nous tracions dans l'immobile. (p. 199)

Sylvain Tesson est un personnage qui ne fait pas l'unanimité dans le monde littéraire français. Pour certains, son œuvre offre peu d'originalité, pour d'autres, il est trop proche de l'extrême droite. D'autres prennent sa défense avec énergie. Laissons les Français débattre de ces questions. Pour moi, il est un privilégié qui peut courir le monde, philosopher et poétiser pour notre plaisir tout en me laissant dubitative sur ce qui le fait courir ainsi.

Sylvain Tesson, Blanc, Folio, 2022, 265 pages