Il avait oser rêver de gloire en dépit d'une voisine qui lisait dans le marc de café et lui avait rappelé que la gloire était une notion post-mortem, à ne pas confondre avec la célébrité.
Yann Mendelec était un écrivain célèbre. Tous ses livres s'étaient bien vendus. Son éditeur et complice, Louis Van Berg, avait fait fortune grâce à eux.
À l'origine professeur d'histoire, Louis s'était laissé convaincre par Yann d'être son éditeur. Longtemps, les deux larrons n'avaient pu que s'en féliciter.
Seulement le dernier livre de Yann n'avait pas eu de succès. Les critiques l'avaient éreinté et considéré comme mauvais. Yann en avait été meurtri.
Pendant trois ans, Yann s'était alors isolé dans sa propre maison, ne s'occupant plus guère de sa femme, Rosemarie, et de ses jumeaux, Jean et Yvan:
Il avait passé son temps à écrire et à dormir.
Un jour, toutefois, il avait rendu visite à Louis, un manuscrit sous le bras, à l'hôtel particulier, devenu maison d'édition, acquis grâce à ses livres.
Yann avait apporté à Louis La vie des choses et celui-ci lui avait dit, comme à n'importe quel auteur, qu'il le soumettrait au comité de lecture.
Yann ne s'attendait pas à un tel traitement. Il partit. Prisonnier de son désir et conscient de la folie qui le menaçait, il poussa un long cri de rage...
Ce livre ne devait pas être si mauvais que ça puisque Louis, un jour, l'appela. Mais la communication fut coupée. Il lui fallut donc le rappeler:
On l'informa insolemment que son texte présentait certaines qualités. On lui fixa un entretien.
La vie des choses ne ressemblait à aucun de ses livres précédents. Il n'y avait pas de personnages, mais des objets, qui avaient donc une âme.
Ce livre était si différent que Louis ne le publierait qu'à une seule condition, ne pas être signé du nom de Mendelec, désormais synonyme d'échec.
Quelques semaines plus tard, Yann reçut en lettre recommandée le contrat d'édition, où une somme importante lui était proposée, à donner le tournis.
Le jour de la signature venu, ce contrat fut relu à Yann par Louis, un notaire et un avocat, et Yann accepta cette convention léonine sans discuter:
La convention était à la fois un acte de naissance et un certificat de décès: Yann s'engageait à ne plus apparaître en tant qu'auteur et à ne jamais divulguer sa paternité de La vie des choses.
Il respecta cet engagement, disparut avec la coquette somme qu'il convertit en liquidités. Son double connut la célébrité, et peut-être la gloire...
L'histoire ne s'arrête pas là. Marc Agron, imagine un possible et diabolique retour de l'auteur, dont le lecteur ne saura qu'à la fin s'il se réalisera.
Francis Richard
La vie des choses, Marc Agron, 224 pages, La Veilleuse
Livres précédents à L'Âge d'Homme:
Mémoire des cellules (2017)
Carrousel du vent (2018)
Rêver d'Alma (2020)
N.B.
Ce roman a été sélectionné pour Le prix du livre de la ville de Lausanne. Une rencontre avec son auteur aura lieu le 14 décembre 2024 à l'Auditorium MCBA (Musée cantonal des beaux-arts), Plateforme 10, à 11h. Entrée libre sur inscription.