« Les Climats » de Nuri Bilge Ceylan

Par Etcetera

J’ai déjà chroniqué ici plusieurs films de ce réalisateur turc et je l’apprécie toujours autant.
« Les Climats« , un film déjà ancien (2006), que je viens de découvrir en DVD, a su me surprendre. Il m’a semblé aborder des thèmes chers à ce réalisateur, comme la notion de mal, sous des formes différentes et renouvelées. A travers des thèmes amoureux, affectifs, intimes, qui ne sont pas habituels chez lui, il explore une fois encore les tendances troubles et néfastes de l’âme humaine.

Note Pratique sur le film

Nationalité : Turque
Année de sortie en salle : 2006
Acteurs Principaux : Nuri Bilge Ceylan (Isa), Ebru Ceylan (Bahar), Nazan Kesal (Serap), Mehmet Eryilmaz (Mehmet),
Durée : 1h38

Quatrième de Couverture (DVD)

Isa est un intellectuel turc, égoïste et manipulateur, qui blesse et se blesse. Bahar, sa compagne à la beauté mélancolique, se dérobe faute d’être comprise. Eté aveuglant à Kas, automne morne à Istanbul, hiver enneigé dans les montagnes d’Anatolie : les saisons se succèdent, reflétant les climats changeants de ces deux êtres seuls, à la poursuite d’un bonheur qui ne leur appartient plus.

Mon Avis

L’histoire est racontée avec beaucoup d’ellipses, de silences et de non-dits – surtout dans la première moitié du film – mais, peu à peu, à travers certains dialogues révélateurs, nous comprenons de mieux en mieux de quoi il retourne. Le début du film se déroule en été, à Kas, une station balnéaire du Sud de la Turquie, possédant des superbes plages et des vestiges grecs antiques. Nous voyons un couple qui est manifestement en crise, qui ne s’entend plus : ils ne se parlent presque plus, la jeune femme pleure à plusieurs raisons sans que nous sachions pourquoi. A d’autres moments elle est prise d’un rire immotivé, nerveux, amer. Lors d’un dîner avec un couple d’amis, son comportement parait de nouveau hostile et moqueur – étrange. Après une demi-heure de film environ, le spectateur se dit que cette jeune femme est bien difficile à vivre, que son caractère est pénible… à moins qu’elle n’ait des choses très sérieuses à reprocher à son compagnon. Et c’est justement ce que la suite du film s’emploie à nous montrer. Nous nous apercevons effectivement que cet homme est un personnage peu reluisant, que son comportement avec les femmes est empreint de violence, de mensonge, de trahison, de bas calculs et de manigances. Il est prêt à faire des promesses qu’il n’a aucune intention de tenir, il pense pouvoir disposer des êtres à sa guise, imposant un jour une rupture douloureuse à sa compagne puis, quelques mois plus tard, essayant de la récupérer parce qu’il a entendu dire qu’elle a un autre homme dans sa vie.
Il est intéressant que Nuri Bilge Ceylan ait choisi d’interpréter lui-même ce rôle d’homme malfaisant et qu’il ait choisi sa propre femme, Ebru Ceylan, pour jouer le rôle de la compagne maltraitée – alors que tous les deux ne jouent pas dans ses autres films. Il a également demandé à ses parents d’apparaître dans une courte scène de ces « Climats« , où ils semblent tenir leur propre rôle d’une manière très naturelle. On peut penser que le cinéaste souhaitait s’investir plus charnellement dans ce film, et qu’il désirait laisser transparaître quelque chose de sa vie de couple réelle, à travers certains regards, certaines intonations de la voix, certains gestes de tendresse…
On peut se demander si Nuri Bilge Ceylan veut dénoncer par ce film les comportements abusifs et machistes envers les femmes, le manque de respect envers elles. En tout cas, c’est l’interprétation que j’en ai faite, en tant qu’Européenne des années 2020. Dans les scènes de rue ou de café filmées par Ceylan et, d’une manière générale, dans les lieux publics, nous ne voyons presque pas de femmes, à côté d’une majorité écrasante d’hommes. Si le couple qu’il nous montre appartient à une classe sociale supérieure, exerçant des professions intellectuelles liées à la culture, aux mœurs libérées et occidentalisées (la jeune femme s’habille à l’européenne, les cheveux découverts), nous pouvons cependant constater que le féminisme n’est pas encore à l’ordre du jour dans les mentalités de ce pays.
Un excellent film, aux images superbes, aux significations profondes.