La mediumnite de Jeanne d'Arc (4/7)

Par Osmose

En prison, ses guides lui prédisent, à sa grande joie, la délivrance de Compiègne. Elle a aussi la révélation de sa fin tragique sous une forme qu'elle ne comprend pas, mais dont ses juges, eux, saisissent le sens : « Ce que mes voix me disent le plus, c'est que je serai délivrée... Elles ajoutent : Prends tout en gré, ne te chaille (soucie) de ton martyre. Tu en viendras enfin au royaume du paradis »

Souvent ses voix l'avertissent des conseils secrets que tiennent les capitaines, jaloux de sa gloire, et qui se cachent d'elle pour délibérer des faits de guerre. Mais tout à coup, Jeanne paraît, elle connaît à l'avance leurs résolutions et les déjoue : « Vous avez été à votre conseil, et j'ai été au mien, leur dit-elle. Le conseil de Dieu s'accomplira, le vôtre périra »

N'est-ce pas aussi aux inspirations de ses guides que Jeanne doit ces qualités éminentes qui font le grand général, cette connaissance de la stratégie, de la balistique, cette habileté à employer l'artillerie, chose toute nouvelle à cette époque ? D'où aurait-elle pu savoir que les Français aiment mieux se porter en avant que de combattre derrière des remparts ? Et comment expliquer d'autre façon qu'une simple bergère soit devenue du jour au lendemain, et à dix-huit ans, un chef d'armée incomparable, un tacticien consommé ?

On le voit, sa médiumnité revêtait des formes variées. Ces facultés, disséminées, fragmentées chez la plupart des sujets de nos jours, se trouvaient réunies chez elle, groupées dans une unité puissante. En outre, elles étaient accrues par sa grande valeur morale. L'héroïne était l'interprète, l'agent de ce monde invisible, subtil, éthéré, qui s'étend au-delà du nôtre et dont certains êtres humains, spécialement doués, perçoivent les vibrations, les harmonies, les voix.

Les phénomènes qui remplissent la vie de Jeanne s'enchaînent et concourent à un même but. La mission imposée par les hautes Entités dont nous chercherons plus loin à déterminer la nature et le caractère, cette mission est nette et précise. Elle est annoncée à l'avance et s'accomplit dans ses grandes lignes. Toute son histoire en porte témoignage. A ses juges de Rouen, elle disait : « Je suis venue de la part de Dieu. Je n'ai rien à faire ici. Renvoyez-moi à Dieu, de qui je suis venue »

Et lorsque, sur le bûcher, les flammes l'entourent et mordent sa chair, elle s'écrie encore : « Oui, mes voix étaient de Dieu ! Mes voix ne m'ont pas trompée! »

Jeanne pouvait-elle mentir ? Sa sincérité, sa droiture, qui se manifestent en toutes circonstances, répondent pour elle. Une âme si loyale, qui a accepté tous les sacrifices plutôt que de renier la France et son roi, une telle âme ne pouvait s'abaisser jusqu'au mensonge. Il y a un tel accent de vérité, de conviction dans ses paroles, que nul, même parmi ses détracteurs les plus ardents, n'a osé l'accuser d'imposture.
Anatole France, qui, certes, ne la ménage point, écrit : « Ce qui ressort surtout des textes, c'est qu'elle fut une sainte. Elle fut une sainte avec tous les attributs de la sainteté au quinzième siècle. Elle eut des visions, et ces visions ne furent ni feintes ni contrefaites. » Et plus loin : « On ne peut la soupçonner de mensonge
 »

Sa loyauté était absolue ; pour appuyer ses dires, elle ne se servait pas, comme tant de personnes, de termes excessifs, d'expressions démesurées. « Elle ne jurait jamais, dit un témoin du procès de réhabilitation, et, pour affirmer, elle se contentait d'ajouter : « Sans manque[4]. » Ces paroles se retrouvent aussi dans les interrogatoires du procès de Rouen. Elles revêtaient une signification particulière dans sa bouche, prononcées sur ce ton de franchise, avec cette physionomie ouverte qui lui étaient propres.

Autre point de vue : s'est-elle trompée ? Son bon sens, sa lucidité d'esprit, son jugement si sûr, les éclairs de génie qui, çà et là, illuminent sa vie, ne permettent pas de le croire. Jeanne n'était pas une hallucinée !

Certains critiques l'ont cru cependant. La plupart des physiologistes, par exemple Pierre Janet, Th. Ribot, le docteur Grasset, auxquels il convient d'ajouter des aliénistes comme les docteurs Lélut, Calmeil, etc., ne voient dans la médiumnité qu'une des formes de l'hystérie ou de la névrose. Pour eux, les voyants sont des malades, et Jeanne d'Arc, elle-même n'échappe pas à leurs jugements. Tout récemment, le professeur Morselli, dans son étude : Psychologie et Spiritisme, ne considère-t-il pas les médiums comme des esprits faibles ou déséquilibrés ?

Il est toujours facile de qualifier de chimères, d'hallucinations ou de folie, les faits qui nous déplaisent ou qu'on ne peut expliquer. En cela, bien des sceptiques se prennent pour des gens très avisés, alors qu'ils sont tout simplement dupes de leur parti pris.

Jeanne n'était ni hystérique, ni névrosée. Elle était forte et jouissait d'une santé parfaite. Ses moeurs étaient chastes, et quoique d'une beauté pleine d'attraits, sa vue imposait le respect, la vénération, même aux soudards qui partageaient sa vie. Trois fois : à Chinon, au début de sa carrière, à Poitiers et à Rouen, elle subit l'examen de matrones, qui attestèrent son état de virginité.

Elle supportait sans faiblir les plus grandes fatigues. « Il lui arrive de passer jusqu'à six journées sous les armes », écrit, le 21 juin 1429, Perceval de Boulainvilliers, conseiller chambellan de Charles VII. Et lorsqu'elle était à cheval, elle excitait l'admiration de ses compagnons d'armes, par le temps qu'elle y pouvait rester sans éprouver le besoin de descendre de sa monture.
Son endurance est attestée dans maintes dépositions. « Elle se comportait de telle sorte, dit le chevalier Thibault d'Armagnac, qu'il ne serait pas possible à homme quelconque d'avoir meilleure attitude dans le fait de guerre. Tous les capitaines s'émerveillaient des peines et labeurs qu'elle supportait
[7]. »

Il en est de même pour sa sobriété : on a, sur ce point, de nombreux témoignages, depuis celui de personnes qui la virent peu de temps, comme dame Colette, jusqu'à ceux des hommes de son entourage habituel. Citons les paroles de son page, Louis de Contes : « Jeanne était très sobre. Bien des fois, en toute une journée, elle n'a mangé qu'un morceau de pain. J'admirais qu'elle mangeât si peu. Lorsqu'elle restait chez elle, elle mangeait seulement deux fois par jour. »

La rapidité merveilleuse avec laquelle notre héroïne guérissait de ses blessures, montre chez elle une puissante vitalité : quelques instants, quelques jours lui suffisent, et elle retourne sur le champ de bataille. Après avoir sauté de la tour de Beaurevoir et s'être gravement blessée, elle revient à la santé sitôt qu'elle peut absorber quelque nourriture.

Tous ces faits dénotent-ils une nature faible ou névrosée ?

Et si, des qualités physiques, nous passons à celles de l'esprit, la même constatation s'impose. Les nombreux phénomènes dont Jeanne a été l'agent, loin de troubler sa raison, comme c'est le cas pour les hystériques, semblent, au contraire, l'avoir fortifiée, à en juger par les réponses lucides, nettes, décisives, inattendues qu'elle fait à ses interrogateurs de Rouen. Sa mémoire est restée sûre, son jugement sain ; elle a conservé la plénitude de ses facultés intellectuelles, la maîtrise de soi.


à suivre ...