La plupart des duos d’auteurs-compositeurs voient leur collaboration davantage comme une compétition que comme un véritable partenariat. Si John Lennon et Paul McCartney ont toujours mieux travaillé ensemble que séparément, il est fascinant de constater à quel point ils se renvoyaient la balle lorsqu’il s’agissait de composer des morceaux classiques. Qu’ils assemblent deux pièces distinctes pour créer une œuvre comme A Day in the Life, ou qu’ils cherchent à se dépasser mutuellement avec des titres comme Strawberry Fields Forever et Penny Lane, leur rivalité créative a marqué la musique. Lennon, peu enclin aux compliments, a même dû admettre que McCartney avait frappé un grand coup avec Got to Get You Into My Life.
Lorsque les Beatles entament les sessions de Revolver, les règles du rock and roll semblent avoir disparu. Ils avaient déjà fait un grand pas vers la musique folk sur Rubber Soul, avec des titres comme In My Life et Yesterday qui s’étaient rapidement imposés comme des classiques du rock.
Si Rubber Soul est souvent qualifié d’« album pot », alors Revolver est une plongée dans l’acide. Des délires psychédéliques comme Tomorrow Never Knows cohabitent avec le hard rock mordant de George Harrison, notamment sur Taxman. Tandis que Lennon et Harrison exploraient les méandres de l’esprit, McCartney préférait laisser ses ballades le guider, comme sur Good Day Sunshine.
Bien que certains perçoivent McCartney comme le membre le plus léger du groupe, produisant une musique sucrée destinée aux masses, sa complexité musicale ne doit pas être sous-estimée. Eleanor Rigby ne ressemblait à rien de ce que les autres groupes de l’époque avaient créé, et For No One reste l’une des œuvres les plus mélancoliques du répertoire des Beatles. Pourtant, McCartney, souvent perçu comme le plus joyeux des Fab Four, pouvait aussi s’aventurer dans des territoires musicaux inattendus, comme son flirt avec la Motown sur Got to Get You Into My Life, une chanson soul dont tout artiste rêverait d’être l’auteur.
Bien que cette chanson soit souvent interprétée comme une ode à l’herbe, son groove contagieux et la section de cuivres qui la ponctue lui confèrent une coolitude indéniable, renforçant la diversité musicale de Revolver. McCartney a d’ailleurs reconnu que c’est Lennon qui l’avait encouragé à pousser plus haut sa tessiture. Et le “Beatle intellectuel” ne s’y est pas trompé : Lennon savait que son ami tenait là quelque chose de grand.
Revenant sur ses années Beatles en 1980, Lennon a reconnu la qualité de la chanson en ces termes : « Je pense que c’est l’une de ses meilleures chansons, car les paroles sont bonnes, et ce n’est pas moi qui les ai écrites. Vous voyez ? Quand je dis qu’il peut écrire des paroles s’il s’en donne la peine, en voici un exemple. »
Pourtant, attribuer le mérite uniquement à McCartney serait sous-estimer l’importance collective de la chanson. Bien que McCartney ait aimé jouer lui-même ses morceaux lorsqu’il avait une vision claire, le passage à la guitare solo au début du deuxième refrain reste l’un des moments les plus mémorables de l’histoire des Beatles, comme s’ils avaient capturé l’essence de la chanson en un seul trait.
En écoutant Got to Get You Into My Life, il serait réducteur de penser que McCartney se contente de chanter sur un trip psychédélique. C’est avant tout son talent de compositeur qui éclate ici, et ce morceau n’était qu’un avant-goût de ce que les Beatles allaient offrir avec Sgt. Pepper’s et Abbey Road. La fin des années 60 promettait d’être grandiose.